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Ingénierie pédagogique : passer de la multimodalité à la comodalité

Comme nous l’avons vu dans un précédent article, le modèle pédagogique de la formation professionnelle est en crise. Le moment Covid-19 n’aura été qu’un révélateur des transformations nécessaires en cours. Cette crise du modèle pédagogique interpelle les ingénieurs pédagogiques. Comment créer dès aujourd’hui des expériences apprenantes qui répondent aux attentes des « nouveaux apprenants » et favorisent leur engagement durable dans leur parcours ? Selon nous la réponse réside dans le passage à la multimodalité pédagogique, et même mieux à la “comodalité pédagogique”.

Multimodalité vs comodalité : de quoi parle-t-on ?

Jusqu’à un passé relativement récent se former, c’était aller en stage. Seul le présentiel existait. On ne l’appelait pas ainsi, mais la formation était “monomodale” : le cours en face en face était la seule et unique modalité pédagogique.

Puis la révolution E-learning est arrivée à la fin du siècle dernier (si, si déjà !). Et on a commencé à parler de « blended learning » et de « formation ouverte ». Du seul présentiel, on est passé à la multimodalité en combinant au mieux dans un même parcours des temps de formation synchrones présentiel ou distanciel (la classe virtuelle ne date pas d’hier certains organismes de formation la pratique de façon plus ou moins rudimentaire, là aussi depuis plus de 20 ans) et des temps d’autoformation asynchrones (consultation de modules digitaux plus ou moins riches d’un point de vue medias).

Aujourd’hui, la multimodalité est en passe d’être dépassée, ou à tout le moins complétée, par la comodalité. Par « comodalité », il faut entendre la possibilité donnée à chaque apprenant de choisir lui-même la modalité pédagogique pour chaque séquence en fonction de ses préférences d’apprentissage et de ses contraintes logistiques et organisationnelles.

La « comodalité », c’est donc la pédagogie à la carte. Ce n’est plus le formateur ou l’ingénieur pédagogique qui impose ses choix. Mais il propose des modalités pédagogiques et l’apprenant dispose.

La « comodalité » est une approche originale, pleine de potentialité mais aussi très déstabilisante pour les formateurs et les concepteurs pédagogiques. On n’en est aujourd’hui qu’au stade des premières expérimentations, même si cela existe depuis quelques années outre Atlantique, du côté de nos amis canadiens et plus particulièrement Québécois.

Pour aller plus loin : voir la généralisation de cette pratique à l’Université de Laval. Attention ! Dans cette université, à la pointe de la pédagogie, ils emploient le terme de « comodal » dans une définition restreinte caractérisant seulement le fait de diffuser simultanément le cours en présentiel et en classe virtuelle. Quant à nous, nous l’utiliserons dans une acception plus large : c’est le simple fait d’offrir le choix des modalités aux apprenants tout au long de leur parcours : ce que l’Université de Laval désigne par le terme de « formation flexible ».

Quels enjeux pédagogiques, organisationnels et économiques ?

Comme nous le détaillerons dans la section suivante, la formation commodale nécessite une charge de travail de conception évidemment plus importante, mais elle présente également des avantages et intérêts majeurs. En voici quatre majeurs :

Renforcement de l’engagement des apprenants

En donnant le choix des modalités pédagogiques à l’apprenant, on accroît sa capacité d’autodétermination. Il a le sentiment qu’il subit moins sa formation, car il en est en partie l’auteur. Cela renforce évidemment sa motivation à apprendre et son engagement. C’est bien bien plus efficace que certains trucs et astuces éculés de ludopédagogie comme les quiz.

Adaptation aux préférences d’apprentissage

Au-delà des modes et des discours marketing, la seule chose dont on est sûr aujourd’hui est qu’il n’existe pas un « One best way » pédagogique. Chacun apprend à sa façon et de façon différente en fonction de la nature de son apprentissage et des objectifs qu’il se fixe. Toutes les théories d’apprentissages ont été, les unes après les autres, remises en cause ces dernières années, il n’en reste pas moins vrai que le formateur doit prendre en compte la diversité des façons d’apprendre et se mettre en posture d’accompagnateur de ses apprenants. Quoi de mieux alors de proposer aux apprenants de faire leurs choix pédagogiques pour leur parcours de formation ?

Adaptation aux nouvelles formes d’organisation du travail et de formation

Comme nous l’avons vu dans de précédents articles, le télétravail ne sera pas anodin pour ceux qui étaient probablement les plus consommateurs de formation professionnelles ces dernières années, c’est-à-dire les cadres et employés de bureaux. Le monde de demain ne sera pas à l’identique de celui d’hier dans le domaine de la formation. Offrir la possibilité à chacun de se former à son rythme et comme il l’entend est probablement une piste à investiguer.

Généralisation du principe d’entrées – sorties permanentes

C’est le grand enjeu économique de la formation post crise. Comment former plus sans remettre en cause l’efficacité pédagogique si ce n’est en inventant un modèle pédagogique basé sur le principe d’entrées – sorties permanentes ? Par « Entrées – sorties permanentes », il faut comprendre le fait que chaque apprenant peut débuter et terminer la formation quand il le souhaite et que son parcours est personnalisé en fonction de ses pré-requis. L’avantage bien connu de cette approche est de raccourcir les durées moyennes de formation (c’est la formation juste assez – juste à temps). Et par conséquent de réduire le gaspillage en formation. En offrant la possibilité de choisir en plus leur pédagogie, on favorise certes personnalisation fine des parcours de formation. Chacun suit les contenus de son choix avec les activités pédagogiques qui lui semblent pertinentes.

Comment repenser sa méthode de conception ?

Si, comme nous venons le voir, la « comodalité » présente des avantages, elle nécessite toutefois de repenser ses façons de concevoir ses formations.

L’ingénierie pédagogique classique, celle qui a cours depuis le début des années 1970, a été marquée dès ses origines par une approche quasi scientifique de la conception pédagogique. La génération qui a posé les fondemants de l’ingénierie pédagogique sortait des meilleures écoles d’ingénieurs (d’où le terme qui est loin d’être anodin « d’ingénierie »). A chaque groupe de formation devait correspondre le « meilleur escalier » pédagogique comme on disait dans les manuels de l’époque. L’ingénieur en pédagogie devait trouver les meilleures articulations entre les différentes activités pour faire progresser les apprenants.

Dans une approche commodale ce schéma ne tient plus. Il revient à l’ingénieur pédagogique de concevoir les briques du parcours, et non plus le parcours lui-même. Si on fait une analogie avec les Légo®, il conçoit les briques mais ne donne ni l’objet à construire, ni le plan. L’objet et le plan, c’est-à-dire, l’objectif final et le parcours d’apprentissage, c’est à l’apprenant avec son formateur-accompagnateur de le construire au fur et à mesure de son parcours en fonction de ses préférences pédagogiques.

Cela ne signifie pas pour autant que l’ingénieur pédagogique n’a plus de rôle dans la conception pédagogique. Bien au contraire, il a 4 missions principales à mettre en œuvre que nous vous présentons succinctement ci-dessous :

Trouver le bon niveau de granularité pédagogique

Son premier travail est de faire de l’ingénierie des compétences, c’est-à-dire de découper un domaine d’activité en compétences et sous-compétences. Chaque sous-compétence va devenir un objectif d’apprentissage et cet objectif correspondra à un « grain », une « capsule », ou une « brique » pédagogique.

Ce découpage relativement fin mais pas trop (environ entre 1 heure à 7 heure de temps d’apprentissage) est un véritable casse-tête car cette fois-ci le concepteur ne travaille pas à partir de profil d’apprenants qu’il connaît mais d’apprenants lambda du domaine : du débutant à l’expérimenté. Ce travail est davantage de la didactique que de la pédagogie. C’est ce que nos référents AFEST redécouvrent à travers nos formations certifiantes AFEST. On repart de l’emploi et de l’activité avant de partir des objectifs pédagogiques à faire acquérir.

Pour aller plus loin découvrir notre parcours certifiant AFEST – Cliquez ici.

Elaborer des contenus cross media

Une fois la maille de la sous-compétence bien ajustée, l’ingénieur en pédagogie va travailler ses contenus.

Là aussi, cela change de l’ingénierie pédagogique classique où l’on pense le parcours et les activités pédagogiques avant de déterminer les contenus. Cette priorité chronologique donnée aux contenus vient du fait que chacun pourra accéder aux contenus de son choix et sous la forme qu’il souhaite.

C’est pourquoi, l’ingénieur en pédagogie va formaliser le contenu sous des formats variés : vidéo learning, tutos, podcast, fiches pédagogiques ou infographies sous PDF ou animatiques via un logiciel de Rapid E-learning, etc.

Concrètement, cela signifie qu’un même contenu va être produit plusieurs fois. En tant qu’ingénieur pédagogique, la charge de travail peut vous effrayer ! Mais soyez rassurés, la production cross media d’un même contenu n’est pas très chronophage si elle est pensée comme tel dès le démarrage du procédé de conception et qu’elle est conçue de façon industrialisée.

Ces contenus seront mis à disposition des apprenants et des formateurs et ils pourront ainsi bâtir à la carte de leur parcours.

A noter… Ces contenus peuvent par ailleurs être utilisés à des fins qui ne soient pas que formatives au sens classique du terme. Un organisme de formation peut les utiliser dans le cadre sa stratégie de “Content marketing” ou commerciale. Par exemple : pour vendre des produits dérivés aux formations de base.

Proposer des expériences pédagogiques variés

On arrive ensuite à la spécificité proprement dite de l’ingénierie commodale. Pour chaque sous-compétences, l’ingénieur pédagogique va devoir proposer plusieurs modalités pédagogiques. Pour « Maîtriser le démontage – remontage d’un pneus de camion », on pourra proposer, par exemple, à l’apprenant :

  • Profil débutant : un cours présentiel suivi d’une mise en application sur plateau technique en centre de formation,
  • Profil faux débutant : la consultation de tutos, suivi de quiz de contrôle et mise à l’épreuve des connaissances sur plateau technique encadré par un formateur ou, en AFEST, encadré par un accompagnateur AFEST
  • Profil déjà expérimenté : consultation de tutos suivi d’application en AFEST hors de la présence de l’accompagnateur AFEST puis séquence réflexive au bout de plusieurs démontage-remontage.
  • Profil très expérimenté souhaitant se perfectionner et innover : temps synchrone en présentiel et/ou en classe virtuelle d’analyse de pratique entre apprenants expérimentés, animés ou pas par un formateur ou un accompagnateur AFEST.

Ces expériences pédagogiques sont à formaliser dans ce que nous désignons chez C-Campus des « FAP » ou « Fiches d’activités pédagogiques » et sont à remettre aux apprenants et aux accompagnateurs qui choisissent en fonction du profil et du niveau la meilleure activité pour atteindre la maîtrise de la compétence ou de la sous-compétence visée.

Concevoir des dispositifs et outils de positionnement et d’accompagnement pertinents

Enfin, cette liberté donnée aux apprenants et à leur formateur terrain ne peut fonctionner que si des positionnements rigoureux et des points réguliers sont réalisés tout au long du parcours. C’est pourquoi, l’ingénieur en pédagogie doit concevoir des dispositifs et des outils de positionnement et d’accompagnement relativement sophistiqués et si possible, pour faciliter leur appropriation, les digitaliser dès lors que la volumétrie d’apprenants est importante.

Vous êtes intéressé par l’appropriation de cette nouvelle démarche d’ingénierie multimodale et commodale, découvrez notre parcours “Formation de formateurs multimodal” – Cliquez ici.

Marc Dennery

Marc Dennery

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