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Généralisation du télétravail : quels effets sur le développement des compétences ?

C’est une évidence : le télétravail va s’imposer durablement. En cette rentrée 2021, il n’est plus seulement une réponse à une situation de crise sanitaire, il devient une norme pour tous les salariés qui n’ont pas d’obligation d’entrer en contact physiquement avec leur environnement de travail.

Les accords d’entreprises se multiplient. Certaines entreprises comme PSA / Stellantis vont jusqu’à proposer 100% de télétravail à leurs collaborateurs. Mais la plupart des négociations semble aboutir sur une proportion d’environ 50% de télétravail.

Derrière l’enthousiasme de certains pour cette nouvelle forme « libérée » de travail, se cache pour d’autres l’appréhension de la perte de contacts humains et des rencontres quotidiennes. Ce n’est pas l’objet de cet article de prendre parti. Chacun peut se faire son opinion. Ce que nous aimerions seulement mettre en évidence, c’est que cette généralisation du télétravail ne sera pas sans incidence sur le management des compétences. Et une chose est sûre : les accords d’entreprise devront en tenir compte.

Le double effet du télétravail sur le développement des compétences

Le présentiel en grand danger !

Le premier effet du télétravail généralisé sur le développement des compétences réside dans l’organisation et la planification des actions de formation elles-mêmes. C’est évident, mais il faut ici le rappeler : planifier une session de formation de deux à trois jours n’était déjà plus une sinécure depuis le développement des RTT et des contrats à temps partiel. Demain, cela sera encore plus difficile, surtout si les salariés bénéficient du choix des jours de télétravail dans la semaine. Comment alors trouver une date commune pour se retrouver ensemble en formation ?

A contrario, étant déjà seuls chez eux, les salariés auront plus de facilités pour s’autoformer via des modules digitaux ou des classes virtuelles qu’hier quand ils travaillaient en « open space ».

Le présentiel, modalité quasi unique jusque dans les années 2010, va prendre sacrément du plomb dans l’aile ! Concurrencé non seulement par les progrès technologiques (E-learning, micro learning, VR, IA…) et pédagogiques (AFEST et formation terrain), le présentiel risque de surcroît d’être rangé au placard des oubliettes pour de banales raisons d’organisation et de planification.

La perte des apprentissages professionnels informels

C’est bien connu, travailler côte-à-côte, en présence les uns des autres, accroît notre capacité à développer nos compétences. Sans nous en apercevoir, nous nous formons « à l’insu de notre plein gré » comme le disait si bien Richard Virenque dans les Guignols !

Ces apprentissages, les experts en pédagogie les désignent par le terme d’Apprentissages Professionnels Informels ou API. Ils sont multiples et quotidiens. Il s’agit par exemple d’apprentissages suite à…

  • … des questions que l’on peut poser instantanément à un collègue à côté de nous
  • … une explication sur une façon de faire dont on peut bénéficier à la Cafet’
  • … une prise de recul sur notre travail qu’un collègue au détour d’un échange peut nous amener à réaliser grâce à ses questions ou ses remarques pertinentes,
  • … une observation voire une imitation d’une façon de faire d’un collègue expérimenté qui travaille devant nous,
  • … un feedback informel de notre manager qui, en passant, nous conforte ou au contraire nous alerte sur nos façons de faire efficaces ou, à l’inverse, encore perfectibles,

A côté de tous ces micro-apprentissages, il ne faut pas oublier non plus le fait de « faire équipe ». C’est-à-dire avoir le sentiment d’appartenir à un collectif où tous les équipiers travaillent tous dans le même sens, pour le même projet et avec les mêmes objectifs. Cette construction du sens du travail ne peut s’élaborer que dans des micro-échanges quotidiens : discussions de cafet’, de déjeuner, de débriefing entre deux réunions, etc. Le télétravail les réduit considérablement. Les collaborateurs ont alors beaucoup plus de mal à percevoir les attendus de leurs missions.

Trois questions incontournables à traiter dans les accords de télétravail

La difficulté d’organiser les formations présentielles et la perte des Apprentissages Professionnels Informels devraient interroger tous ceux qui négocient aujourd’hui des accords de télétravail.

Afin d’éviter des effets désastreux sur les compétences individuelles et collectives des équipes, trois questions devraient être portées dans les négociations.

S’engager à maintenir un minimum de volume de formation en présentiel voire en résidentiel

L’attitude de laisser-faire à l’égard du choix des modalités pédagogiques pourrait être désastreuse à moyen et long terme. Cela risque de réduire le présentiel à sa portion congrue. Or les entreprises ont besoin, plus que jamais, de développer le sentiment d’appartenance à la marque et au collectif de travail.

En télétravail, les collaborateurs ont besoin davantage encore de se retrouver, de rencontrer leurs pairs, d’être convaincus qu’ils ne sont pas seuls à faire face aux mêmes problèmes et que d’autres peuvent les aider à trouver les solutions. Les temps de commensalité d’une formation présentielle, voire mieux d’une formation résidentielle, seront demain plus qu’hier encore d’une valeur inestimable.

Mettre en place des rituels de formation au sein des équipes

Sans attendre l’opportunité de suivre une formation présentielle ou résidentielle, il est important que chacun au sein de son équipe puisse échanger et confronter ses pratiques professionnelles. La réunion d’information hebdo ou même quotidienne n’est plus suffisante en télétravail. Il est indispensable de créer des rituels de formation, des « learning time » pour que chacun retrouve du temps pour apprendre de ses collègues.

Ces « rituels » peuvent être hebdo ou bi-hebdo. Ils prennent le nom dans certaines entreprises de « Causerie ». On y vient pour parler d’un sujet, d’une difficulté, d’un problème récurrent ou encore d’une pratique exemplaire. Il existe de multiples façons d’animer ces « causeries » : Partage de bonnes pratiques, Analyse d’incident, Défi collectif, Cartographie des processus, etc.

Quelle que soit sa forme, l’important est qu’elle soit régulière et qu’elle se déroule dans un climat bienveillant d’écoute réciproque avec des équipiers à l’état d’esprit dit « en développement », ou « Growth-minded » comme l’a mis en évidence la psychologue américaine Carol S.Dweck.

Systématiser des plans d’AFEST pour compenser la réduction des formations formelles

Ce n’est pas parce que la formation des entreprises de plus de 50 salariés n’est plus financée, que les moyennes et grandes entreprises doivent abandonner leur mission formative. Et encore moins, en pleine relance post crise sanitaire qui engendre des besoins considérables en formation ! Tout ne pourra pas se faire par le « digital /distance learning » sur des plateformes comme Mentor Show ou Udemy, ni par le CPF financé par la Caisse des dépôts.

L’entreprise doit reprendre la main sur le développement des compétences de ses collaborateurs. La nouvelle définition de l’action de la formation légalisant l’AFEST doit amener les DRH et responsables de formation à s’y engager. Les négociations autour de la formation ne doivent plus porter aujourd’hui sur un pourcentage de dépenses engagés en formation ou même un volume d’heures réalisé par salariés, mais plutôt sur la systématisation de la mise en œuvre de plans d’AFEST par les managers. Toute équipe devrait avoir son plan d’AFEST où chacun pourrait apprendre des autres et, réciproquement, apprendre aux autres.

L’AFEST, n’est pas seulement une affaire de co-financement, c’est avec la généralisation du télétravail, le meilleur moyen de compenser la perte des apprentissages professionnels informels, en les transformant en apprentissages formels.

 

Marc Dennery

Marc Dennery

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