Le blog de C-Campus
Conceptrice de ressources pédagogiques

Pour une esthétique des environnements d’apprentissage

La crise sanitaire donne un grand coup de pied dans la fourmilière du monde de la formation, déstabilisant violemment les systèmes en place et l’appareil tout entier. Face à cet évènement brutal, les protagonistes improvisent, composent, innovent. Parmi les solutions, trouvées et ce dans toutes les dimensions (pédagogique, organisationnelle, économique, réglementaire, commerciale…), certaines sont rapidement abandonnées, d’autres semblent entrer dans les usages, initiant sans doute des mutations plus profondes dans nos façons d’élaborer et de transmettre les connaissances. Quid de l’impact de ces mutations sur le métier de concepteur pédagogique et de leurs répercussions sur la nature de sa production ?

Nous livrons, comme point de départ à la réflexion, une interprétation de propositions récurrentes, recueillies dans les discours des acteurs de la formation. Nous les avons choisies car elles nous semblent fournir les caractéristiques essentielles mais non exhaustives d’un nouveau paradigme de la formation. Nous nous appuierons sur ces caractéristiques pour mettre en question l’ingénierie de formation et l’ingénierie pédagogique. Enfin, nous esquisserons les premiers traits d’un design des objets et des environnements d’apprentissage intégrant notamment dans son essence même une nécessaire démarche de caractérisation d’une esthétique propre à l’élaboration, au partage et à la circulation des connaissances.

Quelques propositions caractéristiques d’un nouveau paradigme de la formation

  • La formation du futur sera apprenant-centré ou ne sera pas.
  • Le formateur n’est plus celui qui donne du contenu mais celui qui accompagne l’apprenant vers le savoir. Il est garant du sens, c’est-à-dire de la finalité, de la direction et de la pertinence de la formation par rapport au projet de l’apprenant. Mais il est également porteur de la nuance, de la modération, de l’ajustement, ainsi que de la « mise en complexité » de l’objet d’apprentissage de l’apprenant.
  • De son côté, l’apprenant a pleinement saisi l’importance de la formation et de la certification dans son projet de vie. Il s’engage dans la formation jusqu’à la co-produire dans une logique de servuction. Également consommateur, il peut aussi considérer la formation comme un marqueur social accolé à l’idéal de l’auto-entreprenariat et à celui de la start-up. La formation se fait alors objet de consommation, voire de convoitise et d’achat compulsif. Les badges et attestations de formation sont portés aux regards de tous sur les réseaux sociaux.
  • Sur les flancs de l’appareil traditionnel de la formation professionnelle, le marché B to C de la formation se développe, porté par le numérique. Des mécaniques automatisées de marketing et de marchandisation sont déployées. Un copywriting affuté se développe. La qualité faciale du service formation devient essentielle pour se différencier dans une offre qui devient surabondante.
  • La formation est à la fois personnalisée et collective, voire communautaire. La personnalisation correspond à une forme de « sur mesure premium » en résonnance à l’engagement individuel (et consumériste) des participants. Le collectif de son côté peut prendre la forme d’événements formatifs à la façon de bootcamps permettant de provoquer des échanges créatifs et riches entre les participants ou bien de communautés de pratiques à l’intérieur desquelles les participants vont échanger des bons procédés, s’évaluer les uns les autres, ou bien encore se mettre en binômes pour entretenir la motivation.
  • La formation est multimodale, alternant présentiel, distanciel et expérientiel. Dans ce contexte, le présentiel devient le moment d’évènements à forte valeur ajoutée (rencontres, masterclass, bootcamp…), celui de l’expérimentation, ou bien encore celui des travaux pratiques. Le contenu théorique fait l’objet de ressources numériques. Il doit être court, léger et/ou ludique, en tout cas facile à assimiler.
  • La mise en application et le passage à l’action devient un critère clé de qualité. La formation sur le lieu de travail se professionnalise jusqu’à devenir parfois la colonne vertébrale de certaines formations en entreprise.
  • De l’intelligence artificielle est développée pour répondre à la complexité croissante de gestion des dispositifs de formation et simultanément résoudre la problématique majeure de l’orientation.
  • La formation est efficiente. Écoconstruite, elle utilise des solutions adaptées à des écosystèmes locaux à partir de motifs universels adaptables et déclinables.
  • Enfin, la formation est résolument humaine. Elle doit faire appel aux sens de l’apprenant. Elle devient une expérience émotionnelle à part entière dont la singularité et l’impact est garant de la qualité des apprentissages et de leur mémorisation.

Ces énoncés sont parfois inquiétants, parfois enthousiasmants, parfois utopiques et parfois déjà bien réels. Il ne s’agit pas ici d’en faire l’analyse, ni de les commenter – chacun pouvant faire l’objet de plusieurs articles – mais plutôt de les garder à l’esprit comme base de réflexion.

Limite de l’ingénierie industrielle appliquée à la conception des dispositifs de formation

Le modèle de l’ingénierie industrielle appliqué à la formation a été déterminant entre les années 1980 et 2000 en France pour bâtir l’édifice de la formation professionnelle continue et marquer sa crédibilité. Montrer que la formation pouvait se construire avec rigueur et méthode semblait alors nécessaire à l’instauration et à la professionnalisation du secteur.

Mais aujourd’hui, le modèle de l’ingénierie industrielle est-il encore adapté ou du moins suffisant pour outiller la construction des objets et des environnements propres au développement d’écosystèmes apprenants ?

La question mérite d’être posée pour trois raisons :

  1. Les méthodes classiques de l’ingénierie de formation et de l’ingénierie pédagogique (appelée parfois également design pédagogique) sont linéaires et séquentielles, peu adaptées aux nécessaires itérations requises pour concevoir un environnement d’apprentissage.
  2. Nous l’avons évoqué précédemment : une des caractéristique clé du nouveau paradigme de la formation est la co-production du service avec l’apprenant. Or, comme le relève justement France Henri (1) : « Comment un système de formation, normalisé, peut-il fonctionner si sa composante principale, l’apprenant, jouit d’un degré de liberté que les approches classiques de la planification éducative et d’ingénierie pédagogique sont incapables d’absorber ? » C’est bien là le paradoxe entre la planification rationnelle de la formation et une plus grande liberté de l’apprenant.
  3. Enfin, l’ingénierie n’intègre ni les outils, ni la méthode pour développer une esthétique des objets et des environnements de l’enseigner et de l’apprendre.

Le design des objets et des environnements d’apprentissage au service des nouvelles modalités de formation

Dans ces conditions, ne serait-il pas pertinent de remplacer la figure de l’ingénieur par celle du designer ? Non pas que cette dernière soit neutre et exempte de toute critique, loin de là, mais parce qu’elle nous semble, par son essence et ses méthodes, mieux correspondre à la conception des objets et des environnements d’apprentissage, si l’on s’en tient à la définition du design donnée par Stéphane Vial dans son ouvrage Court traité du design(2).
Ainsi, l’auteur précise : « le design n’est pas le champ des objets mais le champ des effets ». Il distingue trois types d’effets : « un effet ontophanique visant à augmenter l’expérience vécue ; un effet callimorphique, axé sur la beauté formelle et l’attrait esthétique extérieur du design en termes de forme, volume, tactilité, graphisme et expression interactive, et un effet socioplastique portant sur les formes capables de remodeler la société. En d’autres termes, ce qui est important dans le design, ce n’est pas l’apparence de l’objet mais sa capacité à produire des effets qui conditionnent l’expérience ». L’auteur poursuit : « relève ainsi du design ce qui, dans le champ de mon existence se donne comme expérience à vivre ». (…) « Là où il y a du design, l’usager en ressent immédiatement l’effet, parce que son expérience s’en trouve instantanément transformée et améliorée. »

Appliquée à la conception des objets et environnements d’apprentissage, cette vision élargit considérablement le champ de la conception, qu’elle considère de façon holistique, fournit l’espace et les outils d’une esthétique de la formation et surtout, à travers l’effet socioplastique, nous permet de développer la vision de nouvelles manières de construire et de communiquer les connaissances d’aujourd’hui et de demain.

« Mon but est d’atteindre deux choses : la simplicité et la clarté. Les bons designs naissent de ces deux éléments. » – Lindon Leader

 

  1. Henri, F, (2014). Les environnements personnels d’apprentissage, étude d’une thématique de recherche en émergence. Sticef, 21, 121-147. Récupéré le 12 juin 2015 de : http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2014/16-henri-epa/sticef_2014_NS_henri_16.htm
  2. Vial, S,  (2014). Court traité du design, PUF.
Yann Bonizec

Yann Bonizec

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