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Denis Cristol et le chercheur collectif : comment développer des équipes apprenantes ?

Avec l’association SOL France, Denis Cristol, Directeur innovation et pédagogie – Association pour le Progrès du Management et PhD, chercheur associé à Paris Nanterre – Equipe Apprenance, a facilité une recherche selon l’approche du chercheur collectif sur le thème de l’apprenance au sein des organisations.

Nous avons eu la chance d’échanger avec lui pour qu’il nous en dise plus sur comment fonctionne ce type de recherche, ce qu’elle apporte et ce que l’on peut en tirer comme enseignement sur « l’apprenance collective ».

Denis Cristol, pouvez-vous nous donner le contexte des travaux de recherche que vous avez conduit avec le chercheur collectif ?

SOL France, l’association créée il y a une vingtaine d’années à la suite et dans le but de promouvoir les travaux du Professeur et chercheur américain Peter Senge, nous a proposé de réaliser une étude sur comment les organisations apprennent aujourd’hui. SOL France, dont l’acronyme signifie « Society for Organizational Learning » souhaitait faire le point sur les évolutions dans le domaine de l’apprenance collective. Nous avons alors imaginé un dispositif de recherche original où il n’y a pas un chercheur mais une équipe de chercheurs, et où il n’y a pas non plus un directeur de recherche mais un facilitateur de la recherche.

C’est ainsi que nous avons réuni une trentaine de consultants, formateurs ou décideurs d’entreprise et que nous nous sommes organisés pour mener à bien une recherche au long cours (18 mois de juillet 2019 à décembre 2020).

Pourquoi avoir choisi cette approche du chercheur collectif ?

L’objet de la recherche portait sur le modèle de Peter Senge « les 5 disciplines ». Ce modèle qui date du début des années 1990 est-il toujours d’actualité alors que le rythme des transformations s’est considérablement accéléré ?

Pour le savoir, nous avons eu l’idée, lors d’un séminaire d’aller étudier auprès de 62 organisations représentatives du monde actuel (Start-up, ETI, grands groupes mais également écoles et hôpitaux par exemple) comment les 5 disciplines du modèle de Peter Senge étaient à l’œuvre dans ces organisations.

Les 5 disciplines de Peter Senge

  1. Acquérir la maîtrise personnelle
  2. Clarifier et remettre en cause les modèles mentaux
  3. Construire une vision partagée
  4. Apprendre en équipe
  5. Penser systémique

Et plutôt que de le faire selon les principes d’une recherche classique, nous avons souhaité en quelque sorte appliquer ce modèle à notre façon de faire de la recherche. D’où l’idée de constituer un collectif de chercheurs (32 exactement) et d’auto analyser également comment nous fonctionnions. Il y avait donc une recherche dans la recherche !

Pour en savoir plus sur le chercheur collectif vous pouvez consulter le film qui a été réalisé au cours de la recherche « La soif d’apprendre » – cliquez ici.

Comment le chercheur collectif a-t-il lui-même appris ?

D’abord nous avons constitué un groupe divers et nombreux. Au total 32 chercheurs ont participé à la recherche. Certains étaient au départ et n’ont pas pu terminer du fait de la période compliquée (pour rappel la recherche s’est déroulé majoritairement pendant des temps de confinement) et d’autres sont entrés en cours de recherche. Il y a donc eu un brassage « très apprenant ».

Au départ, rares étaient ceux qui avaient une expérience de chercheur. Des consultants, des formateurs, des décideurs en entreprise n’ont pas forcément acquis des méthodes et une posture de chercheurs. C’est pour cette raison que nous avons commencé par nous former. Nous avons appris au cours de séminaires à réaliser des entretiens sociologiques, à mettre en œuvre des techniques de transcription d’entretien mot à mot, et aussi à maîtriser quelques bases de l’ethnologie d’entreprise. Bref, avant d’expérimenter et d’apprendre par l’action, nous nous sommes nourris de savoirs méthodologiques et épistémiques.

Ensuite nous sommes allés sur le terrain et nous avons étudié 62 organisations différentes, deux organisations en moyenne par chercheur. Nous n’avons pas travaillé sur l’ensemble des organisations car cela n’a pas beaucoup de sens au regard d’organisation de plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs. Nous avons repris la notion « d’ilots d’apprenance » d’Anne Gaudry-Muller en nous focalisant sur des collectifs allant de l’équipe d’une dizaine de collaborateurs à des communautés de 100 à 150 personnes maximum. Ce qui correspond au nombre de Dunbar. Au-delà, il est difficile d’étudier comment les personnes entrent en interaction. Nous sommes ainsi restés à un niveau meso-organisationnel.

Le nombre de Dunbar est le nombre maximum avec lesquels une personne entretient dans sa vie personnelle et/ou professionnelle des relations humaines stables et significatives. Ce nombre est estimé par l’anthropologue britannique Robin Dunbar entre 100 et 230 personnes et a une valeur admise en pratique de 150 personnes. Pour en savoir plus cliquez ici.

Pour observer au mieux notre terrain, nous avons construit notre propre démarche d’investigation. Nous avons utilisé par exemple des exercices de méditation pour nous ouvrir aux autres, nous avons fait des « marches apprenantes » pour échanger et produire nos concepts épistémiques.

Nous avons créé un wiki pour faciliter l’entrée – sortie des chercheurs dans le collectif.

Puis nous avons réalisé un séminaire en juillet 2020 de deux jours où nous avons synthétisé nos travaux d’investigation selon une approche de booksprint ou libérathon. Pour en savoir plus , cliquez ici.

Qu’en ont retiré les contributeurs-chercheurs ?

Avant les bénéfices retirés, il faut rappeler les investissements consentis. C’est en moyenne entre 100 à 150 heures de travail et d’investissement personnel réalisés par chacun des 32 chercheurs. Nous avons été agréablement surpris par cet engagement très élevé. Nous ne l’avions pas anticipé car il était très difficile d’évaluer la charge en amont du projet.

Concernant les bénéfices, ils ont été très forts et variés. On a tous appris à développer une posture de chercheur collectif, mais aussi des postures de facilitation et d’entraide. Il ne faut pas oublier que l’essentiel du temps de la recherche a été réalisée au cours du confinement. Et bien entendu on a appris sur le fond, grâce aux résultats de la recherche. On a découvert notamment des « déclencheurs d’apprenance », tout ce qui permet de créer les conditions pour que les collectifs de travail apprennent.

S’il fallait résumer, je reprendrais la belle expression de Laurent Marseault : nous avons vécu « une expérience irréversible de coopérations ». Je rajouterais « créative », car notre coopération a été particulièrement créative ! Pour en savoir plus sur Laurent Marseault, lire son interview ici.

Quelles sont les conclusions essentielles que vous avez pu tirer avec le chercheur collectif sur l’apprenance collective au sein des organisations ?

Nous avons pu identifier les facteurs qui contribuent à renforcer l’efficience des équipes apprenantes. On a noté plus particulièrement les éléments suivants :

  • Les encouragements managériaux aux groupes ou équipes de travail.
  • Le renforcement et la célébration d’une culture de groupe,
  • Les rituels collectifs,
  • La formation et le renforcement de pratiques visant la cohésion (team building ou team development),
  • Le soutien aux attitudes collaboratives des leaders (leadership transitionnel ou leadership partagé) et followers (haute qualité relationnelle en groupe),
  • L’animation de réseaux sociaux permettant des partages d’idées, de pratiques et de ressources,
  • L’outillage numérique et base de données favorisant la mémoire transactive (pour en savoir plus sur la mémoire transactive cliquez ici,
  • La mise en place d’un management des connaissances,
  • L’animation d’équipes apprenantes et de réseaux apprenants

On a pu constater également que les collectifs de travail sont capables de développer leur propre sentiment d’efficacité collectif comme l’avait démontré le psychosociologue canadien Albert Bandura. A l’instar d’une personne qui développe son sentiment d’efficacité personnel, le groupe va développer ou au contraire affaiblir sa croyance dans ses capacités à réussir les tâches qu’on lui assigne ou qu’il s’assigne. Les équipes apprenantes ont cette capacité à croire dans leur réussite notamment en favorisant des éléments tels que :

  • Le soutien mutuel
  • Le sentiment d’appartenance
  • Le sentiment de cohésion
  • Le partage des rôles au sein du groupe
  • Les rôles extérieurs au groupe
  • La maturité organisationnelle et relationnelle des groupes –
  • Le passage du “je” au “nous” et au “on”

Comment évolue le chercheur collectif ?

Le chercheur collectif  a produit des livrets pour rendre compte de la recherche, un film pour raconter son histoire. Il poursuit son aventure collective en créant un outil CAT en 5D pour apprécier la maturité collective des organisations apprenantes.

Marc Dennery

Marc Dennery

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