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Conceptrice de ressources pédagogiques

Ressources pédagogiques : quand l’effet waouh fait chou blanc !

L’effet waouh ne fait pas tout ! Engager des moyens importants pour créer une ressource numérique exceptionnelle ne garantit en aucun cas son succès dans un dispositif de formation. Combien de formations présentielles ou de classes virtuelles tombent à plat malgré un diaporama admirable. Combien de plateformes de formation se transforment en marécages dans lesquelles viennent croupir de superbes ressources qui avaient pourtant tout pour plaire… Dans l’idée.
Mais alors, quels ingrédients vont-ils favoriser le succès d’une ressource numérique de formation ? La réponse est très simple : la ressource doit être proche de l’apprenant et adaptée au contexte de la formation. D’accord, mais encore ?

 

De la qualité absolue

La qualité absolue d’un service ou d’un produit n’existe pas. Elle est inhérente aux termes d’un contrat tacite et/ou formel passé entre les parties prenantes engagées dans une relation. Il en est de même pour une ressource numérique de formation. Ainsi, sa qualité va être considérée par les acteurs concernés, de façon diffuse ou consciente, en fonction de quatre principes interdépendants :

  1. Un principe d’utilité.
  2. Un principe de proximité.
  3. Un principe de moindre effort.
  4. Un principe de simplicité.

Principe d’utilité

Est-ce que la ressource va augmenter le savoir-faire, l’habileté, la performance, le bonheur… ? Autrement dit chasser les souffrances, l’insécurité, l’impuissance… ? Ce principe est fondamental aussi bien pour l’individu apprenant que pour le collectif de travail.

Une ressource très utile sera appréciée par l’apprenant et valorisée par l’organisation. À la limite, qu’importe la qualité formelle de la ressource. On pourrait presque en déduire, avec un soupçon d’inconvenance, que si une ressource est utile, il n’est pas nécessaire, pour le concepteur, de prendre un soin particulier à sa réalisation : ce serait de la sur-qualité, donc du gâchis.

A contrario, une ressource considérée comme inutile par tous les acteurs impliqués dans la formation sera souvent (et logiquement) négligée, voire rejetée par ces derniers. C’est dans cette situation que le concepteur doit investir toute son ingéniosité pour rendre la ressource attractive auprès des apprenants (richesse médiatique, variété des activités, gamification…).

Certains esprits malins parleraient ici de manipulation de l’apprenant et réduiraient la compétence du formateur à sa capacité à “faire boire un âne qui n’a pas soif”. En poussant la logique à l’extrême, ils pourraient même énoncer le théorème suivant : l’utilité d’une ressource est inversement proportionnelle à sa qualité formelle et à son attractivité.

Mais dans une optique plus constructive, il faudrait plutôt s’interroger sur les raisons qui peuvent amener le concepteur à produire des ressources inutiles. Parce qu’après tout, la démarche peut sembler saugrenue.

L’observation empirique du terrain permet d’identifier deux éléments de réponse qui ne prétendent pas à l’exhaustivité.

  1. La ressource est créée dans un système absurde et y fait allégeance à défaut d’y apporter raison. Tous les acteurs impliqués sont complices et plus ou moins conscients du non-sens de la démarche mais personne n’a le courage et/ou le pouvoir d’y faire quoi que ce soit. Un peu comme cette histoire de pantalons à une jambe qui sont fabriqués, non pas pour être portés, mais pour être achetés et vendus à l’infini. Ainsi se créent, jour après jour des lots de ressources inutiles. Faute de sens, concepteurs et apprenants peuvent y investir et y trouver du divertissement. C’est toujours ça de pris pour éviter l’ennui. Eclairons au moins ces sombres propos en rappelant le très bel ouvrage de Christian Morel – Les décisions absurdes, publié chez Gallimard.
  2. L’autre cause de l’inutilité d’une ressource est plus intéressante car il est possible d’y remédier. Cela nous permet d’aborder le deuxième principe : le principe de proximité.

Principe de proximité

Wikipedia définit la loi de proximité de la façon suivante : « En journalisme, la loi de proximité est le principe suivant lequel les informations ont plus ou moins d’importance suivant leur proximité par rapport au lecteur. Cette proximité est généralement décomposée en quatre axes : géographique, temporel, affectif et sociétal/socio-professionnel. »

Si on rapporte cette définition à la problématique de l’utilité d’une ressource de formation, on conclut que si une ressource est perçue par l’apprenant comme étant inutile, c’est souvent parce qu’elle n’est pas assez proche de lui selon les quatre axes énoncés précédemment. L’utilité serait ainsi, en quelque sorte, le corollaire de la proximité.

Géographique

La ressource utilise-t-elle les codes de communication culturellement admis, utilisés et appréciés par l’apprenant ?

  • Exemple 1 – Une ressource de formation proposée par une association humanitaire va tutoyer l’apprenant. D’autres secteurs, comme la Banque, vont plutôt utiliser des formules impersonnelles et l’infinitif. D’autres encore emploieront le vouvoiement. Se tromper dans ces codes de communication aura un effet direct sur l’utilité perçue de la ressource par l’apprenant.
  • Exemple 2 – Une ressource francophone canadiennes déconcerte un public d’apprenants français. L’exotisme de la voix off, porté par ce généreux accent québécois, éloigne la ressource des apprenants. Ils perçoivent alors celle-ci comme moins utile et finalement l’abandonne en cours de route.
  • Exemple 3 – Les droits de l’apprenant sur le réseau ne lui permettent pas d’accéder à la ressource. Oups ! Problème à la frontière ?

Temporel

La ressource est-elle encore d’actualité ? Tant sur la forme que sur le fond ?

  • Exemple 1 – La « date de péremption » de la ressource est dépassée mais elle est restée « sur les rayons » de la plateforme de formation. Au premier indice de vétusté, l’apprenant quitte la ressource et va chercher ailleurs un contenu plus frais. Sur Google par exemple 😊.
  • Exemple 2 – Les illustrations d’une ressource marquent trop fortement une époque révolue. Perception immédiate de l’apprenant : ressource veillotte = dépassée = non utile.
  • Exemple 3 – L’apprenant d’un instant cherche un tuto vidéo qui va lui montrer étape par étape la façon de détartrer rapidement la cafetière du service. Seule une notice technique de 100 pages, en noir et blanc au format PDF est disponible. Le café attendra et la mauvaise humeur monte.

Affectif

Les apprenants peuvent-ils s’identifier / se projeter dans la réalité proposée par la ressource ?

  • Exemple 1 – Du dommage des photographies stéréotypées proposées par certaines banques d’images libres de droits et placées dans les ressources à la « va vite » par manque de temps, de réflexion ou de créativité… Résultat, les apprenants ne se « reconnaissent » pas dans l’iconographie « wasp world wide win » de la ressource et la rejette violemment.
  • Exemple 2 – Une ressource propose des petits dessins animés illustrant des situations professionnelles types. Les apprenants critiquent vivement les animations qu’ils jugent infantilisantes. Difficile pour la ressource d’être perçue comme utile dans ce contexte.
  • Exemple 3 – Une ressource propose un contenu qui se dévoile de façon progressive. Les apprenants doivent terminer la leçon 1 pour pouvoir accéder à la leçon 2. Ils considèrent que cela réduit leur capacité à s’auto-diriger dans la ressource. Ils se sentent déresponsabilisés. D’importants abandons en cours de formation sont constatés.

Sociétal/socio-professionnel

La ressource propose-t-elle un traitement du contenu et/ou un niveau de difficulté adapté au public ciblé ?

  • Exemple 1 – Pour être compréhensible auprès du plus grand nombre, le « jargon » corporatiste d’une ressource est simplifié, « traduit » en langage courant. Effet : désaffection des experts qui étaient pourtant considérés comme les destinataires prioritaires de la formation. À force de vouloir atteindre tout le monde, on ne touche personne.
  • Exemple 2 – Une série vidéo composée de 8 épisodes de fiction sur le thème de la communication managériale est réalisée à grands frais (et à grand bruit de com’ interne) pour être intégrée au parcours de formation d’une population de managers séniors. Ces derniers n’ont jamais atteint l’épisode 2. Ils estimaient que le savoir était trop dilué et avaient l’impression de perdre leur temps = inutile = abandon.
  • Exemple 3 – Un parcours de formation technique est proposé à l’intégration de nouveaux entrants dans la fonction. Les ressources techniques trop abstraites et théoriques démotivent très rapidement les apprenants. La formation et les ressources doivent être complètement reconstruites.

Tous ces exemples qui – chacun l’aura deviné – sont tirés de situations réelles, illustrent à quel point la prise en compte de la proximité par le formateur dans ses choix de conception d’une ressource numérique de formation influence la perception que peut avoir l’apprenant de l’utilité et plus globalement de la valeur de cette ressource. À ces deux premiers principes vient s’ajouter celui du moindre effort comme levier de succès ou d’échec d’une ressource dans un contexte de formation donné.

Principe du moindre effort

Les leviers qui vont inciter les collaborateurs à s’impliquer dans une formation sont nombreux, depuis la curiosité et le plaisir pur, jusqu’à la contrainte d’une obligation, en passant par la conscience plus ou moins diffuse d’une amélioration professionnelle ou personnelle. Mais dans tous les cas, apprendre leur demandera un effort. Ils se prêteront au jeu de façon plus ou moins enthousiaste en fonction du bénéfice attendu de la formation.

Dans ce contexte, tout ce qui peut leur demander un effort supplémentaire à celui d’apprendre – notamment pour pouvoir apprendre – risque d’être considéré comme fortement contraignant et d’être vécu comme une injonction paradoxale.

Ainsi, imaginons les apprenants au départ d’une course à l’issue de laquelle ils trouveraient les ressources pour apprendre. S’il s’agit d’un petit sprint sur quelques mètres : tout ira bien. Si en revanche ils doivent réaliser un 400 m haies avant de pourvoir commencer à apprendre, leur motivation risque de décroitre rapidement. Chaque haie pouvant précipiter leur chute et leur faire abandonner la formation, d’une manière ou d’une autre.

Quelles sont ces « haies » ? Nous les avons tous et toutes rencontrées à un moment ou à un autre.
Quelques exemples, sous la forme de verbatims :

  • « La ressource est trop lourde ! Quand je la charge pour me former, je bloque le flux de production de tout l’établissement. »
  • « Je dois faire 17 clics avant de rentrer sur la plateforme de formation depuis l’intranet. Non mais vraiment : 17 clics ! »
  • « Oui, on a reçu les tablettes le mois dernier. Elles sont dans les cartons au fond de la remise. On attend le technicien pour l’installation. »
  • « J’ai dû m’authentifier trois fois pour arriver au contenu. Et le système me déconnecte toutes les 12 minutes. Ça rend fou ! »
  • « On m’a dit que le résultat du quiz que j’ai réalisé à la fin du module était vu par mon manager. C’est vrai ? »
  • « Je dois cliquer sur le bouton vert et non sur le bouton rouge pour répondre mais je ne distingue pas les deux couleurs, je suis atteint de daltonisme. »
  • « Je dois aller sur Teams. C’est où Teams ? »
  • « La version de mon logiciel ne me permet pas d’accéder au contenu. L’écran reste blanc. Je dois appeler mon correspondant informatique pour résoudre le problème. »
  • « Mon manager m’interrompt constamment dès que je prends du temps pour me former sur le poste de travail. »
  • « Apprendre sur mon smartphone c’est compliqué pour moi parce que les textes sont trop petits. Je ne peux pas mettre l’écran à l’horizontal. Le zoom ne fonctionne pas. »
  • « Super l’idée du podcast de formation, mais pas pratique sans casque dans un open space. »
  • « Impossible de me former sur mon temps de travail et de respecter le rendement imposé. Je me forme ou j’atteins mes objectifs de production du jour ? »
  • « Ils ont mis à jour plateforme, je ne retrouve rien… ».
  • Etc.

Pour dépasser ces difficultés et assurer le succès de son dispositif de formation et des ressources qui le composent en tout ou partie, le formateur doit s’appuyer sur le principe du moindre effort pour guider ses choix de conception : qu’est-ce qui va permettre à l’apprenant de se former le mieux possible avec le minimum d’effort ?

C’est le complément indispensable du principe de proximité.

Dans un monde aussi complexe que le nôtre, cela peut apparaître comme une véritable gageure. Qu’est-ce qui peut aider le formateur à remporter ce challenge ? C’est le dernier principe, celui de la simplicité.

Principe de simplicité

Plus un système est complexe, sophistiqué, riche… plus il peut paraitre obscur, fragile, vecteur d’impuissance et de procrastination pour l’utilisateur.

Ainsi, pour éviter à l’apprenant les incertitudes, les doutes, les errances, les pannes à répétition (réelles ou occasionnées par des mauvaises manipulations), le formateur doit s’inscrire dans une démarche d’économie et d’écologie, simplifier le système afin de l’adapter strictement à l’objectif de la formation. Que l’on évoque un dispositif complet de formation ou une simple ressource numérique, la démarche est la même. Seule l’échelle varie.

Dans cette quête de la simplicité, on pourrait redéfinir l’effet waouh appliqué au design d’une ressource numérique de formation. Ce serait non plus celui des “paillettes”, des “kakous” et de l’épate à la petite semaine, mais plutôt celui qui offrirait à l’apprenant une expérience d’apprentissage légère, fluide, intuitive et adaptée, tout en se faisant oublier.

Yann Bonizec

Yann Bonizec

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