L’analyse réflexive, dite aussi d’une façon raccourcie « la réflexivité », est une approche pédagogique qui consiste à réfléchir, prendre du recul, mettre à distance son action. L’analyse réflexive doit son succès dans le monde de la formation à des auteurs comme Donald A.Schön “Le praticien réflexif”. Mais il n’est pas le seul à avoir contribué au développement de cette approche. Le courant de la didactique professionnelle avec Pierre Pastré et Gérard Vergnaud, ou encore Pierre Vermesch et ses travaux sur l’entretien d’explication y ont aussi grandement contribué dans les années 1980 – 2000. Aujourd’hui, c’est l’AFEST qui rend incontournable l’analyse réflexive pour les formateurs, puisque le code travail y fait référence explicitement :
« Art. D. 6313-3-2.-La mise en œuvre d’une action de formation en situation de travail comprend :
«…
« 3° La mise en place de phases réflexives, distinctes des mises en situation de travail et destinées à utiliser à des fins pédagogiques les enseignements tirés de la situation de travail, qui permettent d’observer et d’analyser les écarts entre les attendus, les réalisations et les acquis de chaque mise en situation afin de consolider et d’expliciter les apprentissages ;
…. »
Qu’est-ce que l’analyse réflexive ?
L’analyse réflexive, c’est d’une certaine manière, fonctionner en double piste. Sur une piste j’agis, je fais une action première ou principale et sur une autre piste, je pense mon action première ou principale. Je l’analyse. D’une certaine manière, je me regarde faire, agir. Comme le résume en une formule Solveig Fernagu-Oudet, c’est “marcher et se regarder marcher”.
Les bénéfices d’un tel fonctionnement viennent du fait qu’en réfléchissant sur sa pratique, l’apprenant est amené à conceptualiser ce qu’il fait. Gérard Vergnaud, un des fondateurs du courant de la didactique professionnelle, proposait lui aussi une formule célèbre pour exprimer cela : « Au fond de l’action, la conceptualisation ». Quand on agit, on ne fait pas que produire une tâche, on construit aussi sa pensée, son cadre d’action. On interprète des situations, on fait des liens entre des phénomènes que l’on voit. Comme un chercheur qui construit des théories, on construit des concepts sur le réel. On donne du sens à la réalité que l’on voit.
Quoi qu’on fasse, on construit naturellement ce sens. Mais si on fait une pause et que l’on prend le temps de réfléchir, on a plus de chance de faire des interprétations justes, pertinentes. C’est pour cela que l’analyse réflexive est particulièrement efficace. Elle nous évite les interprétations hâtives de la réalité. On est moins soumis à nos biais cognitifs, c’est-à-dire à toute forme bien connue de distorsion dans nos raisonnements, comme par exemple le biais de confirmation ou l’illusion de relation de cause à effet.
Raisonnant de façon plus juste, nos expériences, c’est-à-dire nos façons de faire telles qu’ont les conservent dans notre mémoire, sont également plus riches. On garde l’essentiel de ce qu’il faut retenir de la mise en situation. On évite ce que l’on appelle des “mésapprentissages” ou si vous préférez des apprentissages erronés. Et on ne conserve que ceux qui sont réellement utiles.
Comment pratiquer l’analyse réflexive ?
Chacun de nous peut pratiquer l’analyse réflexive. Il suffit de réfléchir à ce que nous faisons avant d’agir, pendant qu’on agit, après avoir agi et aussi, de façon plus rare mais ô combien utile, en dehors de toute action particulière.
Mais réfléchir efficacement dans ou hors de l’action n’est pas inné. Si tout le monde peut le faire, par exemple en utilisant un journal d’apprentissage et en couchant par écrit ce qu’il fait et comment il peut s’améliorer, tout un chacun ne sait pas forcément le faire efficacement. C’est pourquoi, bénéficier d’un accompagnement par une personne extérieure, un accompagnateur ou un groupe de personnes (par exemple, ses pairs) est un grand avantage.
Que l’on pratique alors l’analyse réflexive en face à face – un apprenant et son tuteur, son manager ou son formateur – ou de façon collective, comme par exemple dans les groupes d’analyse de pratique ou de co-développement, l’accompagnateur n’a qu’un outil à sa disposition : le questionnement. Et ce questionnement peut porter pour, dans ou sur l’action mais également amener l’apprenant à réfléchir sur soi et sur sa façon d’apprendre.
5 types de questionnement pour 5 temps de réflexivité
Comme le schématise l’infographie ci-dessus, la réflexivité peut être mise en oeuvre à travers 5 temps différents.
Les 3 premiers temps (réflexivité amont ou “Pour l’action”, pendant ou “Dans l’action” et aval ou “Sur l’action”), correspondent au premier niveau celui de l’action.
Le quatrième temps de la réflexivité (“Sur soi”) peut être mis en oeuvre en dehors d’une référence précise à une action. Ce quatrième temps correspond à un niveau supérieur aux précédents, puisque l’enjeu n’est plus l’action elle-même mais la personne qui les produit.
Enfin le cinquième temps (réflexivité “Sur ses apprentissages” ou “metacognitive”) correspond à un niveau encore supérieur, puisqu’il s’agit pour la personne de réfléchir sur sa propre façon de réfléchir et d’apprendre.
A chaque temps correspond un type de questionnement que nous avons formalisé, au fil de nos lectures et de nos pratiques . L’apprentissage de ces types de questionnement sont devenus incontournables dans nos formations de tuteurs (voir notre formation – cliquez-ici), d’accompagnateurs AFEST (cliquez-là) et de référents AFEST (ou encore-là !)
Chaque type de questionnement poursuit un objectif différent et est complémentaire aux autres types de questionnement :
- Réflexivité amont – Questionnement R.I.E.C : amener l’apprenant à devenir stratège et à se projeter dans l’action, en terrain connu.
- Réflexivité pendant – Questionnement “Double Piste”: inviter l’apprenant à contrôler en permanence ce qui se passe dans l’action, afin d’en optimiser sa conduite et de préparer l’analyse réflexive aval.
- Réflexivité aval – Questionnement F.A.S.T : permettre à l’apprenant de traduire l’action réalisée en expérience apprenante et de la mémoriser au mieux.
- Réflexivité sur soi – Questionnement C.V.I : accompagner l’apprenant à s’interroger sur ce qui fonde ses actions et ses postures professionnelles. L’amener à décrypter ce qui le guide dans chacun de ses gestes professionnels (opération manuelles et/ou mentales), c’est-à-dire ses Croyances, ses Valeurs et son Identité professionnelle.
- Réflexivité sur son apprentissage – Questionnement “métacognitif” : conduire l’apprenant à prendre du recul sur ses acquis de l’apprentissage et ses façons d’apprendre, afin de les optimiser.
L’approche réflexive : vers un renversement de paradigme pédagogique
Ces dernières décennies sous l’impulsion d’auteurs majeurs anglo-saxon tels que D.A Kolb (“Toward an Applied theory of experiential learning”, 1974), D.Schön (“The Reflective Practitioner: How professionals think in action. 1983), ou français tels que Gérard Vergnaud et Pierre Vermeesch, l’analyse réflexive est devenue une approche pédagogique en tant que telle. Elle a conduit à repenser le modèle classique de l’éducation, que l’on peut qualifier de T.M.A pour TRANSMISSION-MÉMORISATION-APPLICATION, en un modèle centré sur l’action.
Avec l’analyse réflexive, faire apprendre en formation continue, ce n’est plus transmettre des connaissances, les faire mémoriser au mieux et espérer que l’apprenant les appliquera dans son contexte de travail. Cela devient : proposer des situations de travail apprenantes et amener l’apprenant à réfléchir pour les gérer au mieux et pour apprendre sur lui-même. Le modèle T.M.A se transforme en un modèle R.A.R : RÉFLEXION – ACTION – RÉFLEXION.
Pour un nombre toujours plus grands de professionnels, l’analyse réflexive devient l’approche de référence à développer en formation continue. C’est du moins ainsi que l’entendent les pouvoirs publics qui ne cessent d’orienter dans cette direction, à la fois en fixant le cadre réglementaire (cf. décret sur l’AFEST) et en finançant des projets (cf. appel d’offre Pôle Emploi sur l’AFEST de mai dernier) vers une formation centrée sur l’action et les réflexions qu’elle peut susciter.
Faire apprendre la réflexivité : l’objectif de tout projet pédagogique
Adopter une posture réflexive est le propre de toute personne. Mais, mettre en oeuvre des pratiques réflexives efficaces n’est pas donné à tout le monde. Cela s’apprend ! Utiliser les bons questionnements, savoir observer, se réserver des temps d’analyse et de projection, etc. implique un minimum de savoir-faire et d’organisation.
Une fois acquis, ce “savoir-réfléchir” ne se perd plus, c’est comme apprendre le vélo ! Plus on maîtrise les méthodes de réflexivité, plus on aime les mettre en oeuvre. Et plus on les met en oeuvre, plus on les améliore. C’est pourquoi, l’objectif premier de tout projet pédagogique devrait être de former à l’analyse réflexive. Tout parcours long de formation devrait démarrer par l’acquisition de méthodes de réflexivité. Tout service formation devrait avoir à son catalogue une formation à la réflexivité.
Dans le cadre de l’AFEST, former à la réflexivité est à la fois une condition de réussite et un bénéfice de la formation. Ce sont les accompagnateurs AFEST qui s’en chargent. Mais encore faut-il eux-mêmes les former à la réflexivité et les “équiper” de méthodes, pour qu’ils transmettent leurs savoirs faire dans le domaine de l’analyse réflexive.
Références : les sources de l’analyse réflexive
L’analyse réflexive n’est pas le produit d’un auteur particulier. Ses sources théoriques et méthodologiques sont multiples. On retrouve des ramifications aussi bien en philosophie, qu’en psychologie, théories du management, ingénierie des compétences, méthodes pédagogiques. Les découvertes récentes en neurosciences viennent confirmer et approfondir certains aspects de l’analyse réflexive. Sans avoir la prétention d’une liste exhaustive, voici quelques uns des auteurs, des courants, des concepts et des méthodes que nous avons croisés au cours de nos recherches sur ce concept.
Courant managérial
- D.Schön : “Le praticien réflexif“,
- D.A Kolb “Le cycle de l’apprentissage expérientiel“,
- Chris Argyris : “L’apprentissage en double boucle” in Savoir pour agir.
- Guy Leboterf : “la coopération, clé de la compétence individuelle et collective”,
- Caroll Dweck : “Changer d’état d’esprit“,
- Robert Dilts : les niveaux logiques,
Courant pédagogique
- John Dewey : la théorie de l’enquête,
- Celestin Freinet : le tâtonnement expérimental,
- Carl Rogers : liberté pour apprendre,
- Philippe Perrenoud : Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant,
- Philippe Carré : L’apprenance,
Courant de la didactique professionnelle et de l’analyse du travail
- Gérard Vergnaud : “Au fond de l’action, la conceptualisation !“
- Pierre Pastré : la didactique professionnelle,
- Pierre Vermeesch : l’entretien d’explicitation,
- Nadine Faingold : Les entretiens de décryptage,
Courant des neurosciences
- Antonio R.Damosio : “Les marqueurs somatiques” in L’erreur de Descartes.
- G.Rizzolatti &C. Sinigaglia : “les neurones miroirs“
- Olivier Houdé : “les 3 systèmes cognitifs” in Comment raisonne notre cerveau.