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Concepts pédagogiques #9 – La théorie de l’enquête

Nous reprenons avec ce post, une série d’articles que nous avions démarrés il y a déjà quelques temps sur les concepts de la pédagogie. Le premier article de cette nouvelle série est consacré à la théorie de l’enquête.

La théorie de l’enquête est tiré des travaux du psychologue et pédagogue John Dewey (1859 – 1952 – USA). C’est un modèle de représentation de la façon dont nous faisons face à toutes sortes de situations du quotidien ou du travail. Et par conséquent, met en évidence notre façon d’apprendre à travers nos expériences. Elle est donc cruciale pour mieux comprendre l’apprentissage en situation de travail.

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Les 5 étapes de la théorie de l’enquête (1)

L’idée centrale est que lorsque nous sommes confrontés à une situation nouvelle, c’est-à-dire que nous n’avons pas déjà rencontrée ou qui ne répond pas à ce que nous avions l’habitude de percevoir dans notre environnement, nous l’abordons comme un scientifique en herbe et nous procédons en 5 étapes :

  1. « La situation indéterminée, le doute » (1). L’élément déclencheur pour l’individu apprenant est de se retrouver dans une situation « douteuse, instable ou problématique ». Ce que nous constatons nous pose problème. Ce que nous nous attendions à percevoir n’est pas au rendez-vous et nos matrices d’action ou nos modèles opératoires ne fonctionnent pas ou ne vont pas fonctionner. Nos « théorèmes en actes » diraient Gérard Vergnaud, l’un des fondateurs du courant de la didactique professionnelle, ne sont plus de grande utilité. Nous sommes sortis de notre « zone de confort » pour entrer dans notre « zone proximale de développement » pour reprendre les termes de Lev Vygotski.
    Les neurosciences parlent quant à elles de « mise en alerte ». Notre attention se dirige alors sur le problème. Nos « fonctions exécutives » sont mobilisés pour nous permettre d’engager les traitements cognitifs nécessaires à la résolution du problème.
  2. « L’institution du problème ». Nous entrons dans une phase que l’on peut qualifier de « problématisation ». Consciemment, nous cherchons à « poser le problème ». Notre mémoire de travail est fortement mobilisée pour relever des indices dans la situation (réactions de l’environnement : personnes, pairs, méthodes, outils, …) et les traiter. Nous mettons en œuvre une attitude réflexive en analysant « quasi scientifiquement » à la fois la situation et l’action que nous menons dans la situation.
    Nos stratégies d’analyse peuvent varier. Nous pouvons nous poser et mettre en place un raisonnement hypothético-déductif. Nous pouvons également avoir une approche davantage holistique où nous comparons rapidement la situation telle qu’elle est avec ce que nous avons l’habitude de connaître. Et nous fonctionnons par écart entre l’obtenu et l’attendu, à l’image, nous disent les neurosciences, d’un appareil photo numérique intelligent qui garde en mémoire tout ce qu’il a capté, compare le réel de l’enregistré et cherche à corriger les erreurs.
    Quelle que soit la stratégie, ce qui nous distinguerait du monde animal, c’est comme l’a dit Jérôme S. Brunner, notre capacité à la « systématicité ». Nous cherchons à faire de tout ce qui nous entoure un système. L’être humain a cette « capacité d’extraire des relations entre les événements dans le monde. Chaque événement devient un signe pour l’interprétation d’autres événements à systématiser et à relier ».
  3. « La détermination de la solution du problème ». C’est l’étape de l’élaboration des « suggestions » comme le dit John Dewey ou de l’établissement des « hypothèses d’action » pour Celestin Freinet ou encore de la définition d’une « ligne d’action » comme le rappelle Jérôme S.Brunner pour exprimer que le déroulé n’est jamais figé une fois pour toute mais toujours en partie pré-défini et en partie adaptable en cours de déploiement.
  4. « Le raisonnement ou l’expérimentation des suggestions ». Nous entrons avec cette quatrième étape dans la phase de mise en œuvre concrète des « suggestions ». Nous testons nos hypothèses d’action et analysons les retours d’information de l’environnement. Nous pouvons ainsi confirmer ou pas la pertinence de notre ligne d’action. L’évaluation que nous faisons nous permet d’affiner le cas échéant le choix de la « suggestion » que nous avons fait.
  5. « Le caractère opérationnel des faits-significations ». Une fois la « suggestion » mise en œuvre, si elle a permis de résoudre significativement le problème que l’on s’était posé, nous avons la capacité à tirer les enseignements de notre expérience. Ces enseignements se traduisent par une recherche de cohérence, une mise en évidence de l’intelligibilité de la situation.
    On pourrait dire avec Gérard Vergnaud que de l’action nous sommes capables d’inférer des concepts théoriques mais aussi pragmatiques, c’est-à-dire des règles, des principes, des façons de voir, de penser et de faire que nous tenons pour vrai ou efficace et qui nous permettront de nous guider lorsque nous rencontrerons à nouveau la même classe de situation.

Les apports de la théorie de l’enquête

Cette théorie de l’enquête paraît aujourd’hui presque évidente. Mais il faut la resituer dans son époque. John Dewey a résumé sa théorie dans un ouvrage de 1938. Il y travaillait dessus depuis de nombreuses années. Dans ces premières décennies du XXème siècle, le courant dominant est alors le behaviorisme. L’apprentissage conditionné est le modèle pédagogique le plus reconnu. Penser l’apprenant comme un enquêteur qui, à la rencontre de son environnement, s’adapte en mobilisant ses ressources cognitives était alors très novateur. Depuis bien d’autres psychologues se sont inscrits dans ce champ très fécond d’une vision constructiviste de la connaissance.

On pense évidemment à Piaget qui en s’intéressant à la question du développement ne disait pas forcément l’inverse avec ses concepts d’assimilation et accommodation. Lorsque « la situation est indéterminée », nous sommes contraints d’accommoder nos schèmes, c’est-à-dire nos structures ou organisation d’action afin de les rendre opérant. Lorsqu’à l’inverse, la nouvelle situation est proche de notre modèle d’organisation, cela nous permet par assimilation des différences marginales rencontrées dans l’action, de renforcer notre structure ou organisation de l’action.

On est très proche également de Célestin Freinet avec son concept de « tâtonnement expérimental » et ses phases de production d’hypothèses, d’essais/vérification, feedback/réponse et évaluation-rejet ou évaluation-intégration.

Et aujourd’hui, les neurosciences n’infirment pas cette vision de l’apprentissage. Bien au contraire, si l’on en croit Stanislas Dehaene. L’auteur de « Apprendre ! le talent du cerveau, le défi des machines » nous rappelle que « la surprise est le moteur de l’apprentissage » et citant Robert Rescorla et Allan Wagner affirme que « le cerveau n’apprend que s’il perçoit un décalage entre ce qu’il prédit et ce qu’il reçoit. Aucun apprentissage n’est possible en l’absence d’un signal d’erreur. Les organismes n’apprennent que lorsque les événements violent leurs attentes ».

Les neurosciences ne font pas forcément référence à la « théorie de l’enquête » mais insistent sur le fait que dès le plus jeune âge nous fonctionnons par projection de nos modèles mentaux pour interpréter toute situation rencontrée et que notre cerveau s’adapte en fonction des « signaux d’erreur » qu’il reçoit. Ou pour le dire autrement en fonction de l’écart entre ce qu’il attendait et ce qu’il peut constater. Ce qui l’amène naturellement à corriger ses structures de connaissances.

Les enseignements pour la formation en entreprise

Les formateurs peuvent tirer des enseignements très riches de cette vision de “l’apprenant-enquêteur”. D’une manière générale, les pédagogies de la découverte s’en sont fortement inspirées. Des techniques telles que les “ateliers de co-développement” ou la méthode dite “Problem-Based Learning” conduisent les apprenants à adopter une attitude d’enquêteur.

L’AFEST, telle qu’elle est définie via le décret du 28 décembre 2018 invitant l’apprenant à travers la mise en oeuvre de phases réflexives à « observer et analyser les écarts entre les attendus, les réalisations et les acquis de chaque mise en situation afin de consolider et d’expliciter les apprentissages » repose en quelque sorte sur une pédagogie de l’enquête.

Plus précisément nous retiendrons quatre enseignements majeurs pour le formateur :

  1. Créer l’effet de surprise dans les formations. Proposer des connaissances réellement nouvelles à faire acquérir pour amener l’apprenant à s’engager dans une démarche d’enquête.
  2. Introduire ses séquences par des starter qui invitent l’apprenant à activer ses structures mentales et matrice d’action (quiz start-up, mises en situation, productions d’idées sur le sujet…).
  3. Donner le temps à l’apprenant de chercher par lui-même ses propres solutions plutôt que de répondre à toutes ses questions et sollicitations. Et l’amener à évaluer les « suggestions » alternatives potentielles.
  4. Mettre en place des séquences systématiques de structuration des connaissances après toute mise en œuvre afin de favoriser le travail de mise en cohérence des situations vécues. Et ainsi favoriser la mémorisation des actions pertinentes à conduire au regard de la situation rencontrée.
(1) Pour présenter la chronologie de ces 5 étapes de la théorie de l’enquête nous nous sommes fortement inspirés de l’article de Joris Thievenaz « John Dewey et la théorie de l’enquête » in Psychologies pour la formation, sous la direction de Philippe Carré et Patrick Mayen.
Marc Dennery

Marc Dennery

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