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Livre à lire : Stanislas Dehaene : Apprendre !

S’appuyant sur les recherches les plus récentes des sciences cognitives et notamment des neurosciences, Stanislas Dehaene, Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de psychologie expérimentale, nous propose une belle synthèse, très argumentée, sur notre façon d’apprendre, à travers son dernier ouvrage paru en septembre.

Stanislas Dehaene : “Apprendre ! le talent du cerveau, le défi des machines” aux éditions Odile Jacob 2018.

Une vision constructiviste et optimiste de l’apprentissage

“Apprendre, c’est construire au sein de notre cerveau un nouveau modèle du monde”. Selon Stanislas Dehaene, nous ajustons en permanence notre modèle mental à notre environnement. Nous nous comportons en permanence en petit scientifique qui teste sa représentation du monde sur ce que nous voyons, nous entendons et ressentons.

Le monde qui nous entoure ne parvient jamais tel qu’il est à notre cerveau. Il est toujours filtré, interprété, déconstruit pour être mieux reconstruit. On pourrait même dire que nous allons davantage à la rencontre des messages qui nous parviennent qu’ils ne viennent à nous.

Cela ne signifie pas pour autant que notre environnement n’a pas d’influence sur nos modèles mentaux et plus globalement notre cerveau. Bien au contraire. Plus nous nous exposons à des messages, plus nous recevons d’information, plus nous nous exerçons, plus nous apprenons. Mais nous ne sommes pas une table rase, ni une plaque sensible photographique. Nous confrontons en permanence nos modèles mentaux aux messages qui nous parviennent. Nous sommes toujours actifs dans le traitement des données.

Cette vision constructiviste de l’apprentissage est doublée d’une vision optimiste. Notre cerveau a des capacités quasiment infinies. Nous sommes capables de développer des aires cérébrales à force de pratique et d’apprentissage. Et ces aires cérébrales peuvent être recyclées en permanence. Certes, Stanislas Dehaene, nous rappelle qu’il est préférable d’apprendre des langues dès le plus jeune âge. Mais notre plasticité cérébrale est très grande et nous sommes capables d’apprendre à tout âge. Et surtout plus on apprend, plus on développe nos capacités cérébrales, plus on est capable d’apprendre plus facilement. Notre cerveau semble fonctionner comme un muscle et l’entraînement devient la clé du succès.

Les 4 piliers de l’apprentissage selon Stanislas Dehaene

Après nous avoir rappelé qu’est-ce qu’apprendre dans une première partie et comment notre cerveau apprend dans une deuxième, Stanislas Dehaene termine son livre par une troisième partie, plus pratique, en présentant les 4 piliers pour apprendre efficacement.

Loin des affirmations souvent toutes faites du marketing pédagogique se référant aux neurosciences, ces 4 piliers peuvent servir de boussole à tout formateur, ingénieur en formation ou responsable de formation. Voici résumé quelques idées essentielles rattachées à ces 4 piliers.

Pilier n°1 : l’attention

Stanislas Dehaene insiste sur l’importance de l’attention dans tout processus d’apprentissage. Il cite le psychologue américain Michael Posner pour nous rappeler que notre cerveau à trois grands systèmes attentionnels complémentaires.

“1-L’alerte, qui indique quand faire attention et adapte notre niveau de vigilance,
“2-L’orientation de l’attention, qui signale à quoi faire attention et amplifie tout objet d’intérêt.
3-Le contrôle exécutif, qui décide comment traiter l’information” p.213.

Le pédagogue doit jouer avec l’attention de ses apprenants. Par la mise en activité, il développe nos capacités “d’alerte“. Par l’apport de message clairs et adaptés aux profils de ses apprenants, il facilite l’orientation, en les amenant à s’orienter vers l’essentiel. Par l’environnement d’apprentissage qu’il crée il favorise ou pas un bon contrôle exécutif. En donnant le temps nécessaire aux travaux, en évitant le multitâche, en simplifiant les connaissances à acquérir ou en donnant des méthodes pour les intégrer, il évite la surcharge de la mémoire de travail et rend plus efficace le contrôle exécutif.

Pilier n°2 : L’engagement actif

“Apprendre efficacement, c’est refuser la passivité, s’engager, explorer avec curiosité, générer activement des hypothèses et les mettre à l’épreuve”. Piaget, Freinet nous l’on dit dès l’entre-deux-guerres. Aujourd’hui les résultats de l’imagerie cérébrale nous le confirme.

Stanislas Dehaene, d’une certaine manière, remet en cause tous ceux qui prétendent que l’on peut apprendre en jouant, avec facilité. “Sans attention, sans effort, sans profondeur de la réflexion, la leçon s’évanouit sans laisser de trace dans le cerveau”.

Le formateur doit donner du temps à l’apprenant pour produire des inférences, composer et recomposer ses connaissances. La passivité, c’est sûr, est l’ennemi de l’apprentissage, mais l’activité ne se résume pas à cliquer sur des boutons ou à répondre à des questions. C’est une activité de réflexion guidée que le formateur doit mettre en oeuvre. Ce n’est pas le jeu pour amuser ou la pédagogie de la découverte pour divertir.

“Le mieux est une pédagogie qui rende l’étudiant actif, mais qui soit étroitement guidé par l’enseignant – un enseignement structuré, doté d’une progression claire et rigoureuse, qui commence par les fondamentaux, vérifie leur maîtrise, et s’appuie sur eux pour construire une pyramide de sens”. p.250

Pilier n°3 : Le retour sur erreur

Nous apprenons de nos erreurs. Stanislas Dehaene n’est pas le premier à nous le rappeler. Mais son approche ouvre des horizons au pédagogue. L’erreur vient tout d’abord de l’écart entre ce que le cerveau de l’apprenant prédit qu’il va arriver et ce qui arrive réellement. L’erreur est déclencheur d’attention. Elle est source de curiosité et enclenche des processus cognitifs d’interrogation et d’analyse. Les meilleurs “speakers” le savent bien qui truffent leurs discours de chiffres étonnants et d’anecdotes surprenantes.

Mais l’erreur, c’est aussi plus couramment se tromper. C’est tester un geste professionnel ou une connaissance et constater que l’on se trompe. Stanislas Dehaene nous rappelle alors ce qu’Albert Bandura nous a appris depuis longtemps. Pour qu’on apprenne de nos erreurs, il est nécessaire que le feedback soit constructif. On a besoin de savoir ce qui est juste ou faux, mais pas qu’on nous dise ce qu’on aurait dû faire. Plus on teste nos connaissances, plus on progresse. Encore faut-il que les épreuves de test soient parfaitement adaptées à notre profil d’apprenant. Sans quoi, nous dégradons notre  sentiment d’auto efficacité et nous développons du stress et de l’anxiété qui nuisent à notre faculté d’apprentissage.

“Dans l’hippocampe de la souris, le conditionnement par la peur bloque littéralement la plasticité neuronale – le circuit se retrouve dans un état qui ressemble à la fin de la période critique, où les synapses sont devenues immobiles, figées dans leurs filets. A l’inverse, le fait d’être plongé dans un environnement enrichi, stimulant, libère la plasticité et rend les neurones plus mobiles comme un retour en enfance” p280.

Pillier n°4 : la consolidation

“La consolidation, c’est, selon Stanislas Dehaene, passer d’un traitement lent, conscient, avec effort, à un fonctionnement rapide, inconscient, automatique” p.293. C’est amener l’apprenant à passer de l’agir en conscience à l’agir inconsciemment. Celui qui agit sans penser à son action, libère sa mémoire de travail qui est par définition limitée et joue le rôle de goulet d’étranglement dans ses capacités d’apprentissage. C’est la différence bien connue entre le conducteur expérimenté qui peut conduire dans un trafic dense tout en tenant une conversation soutenue et le conducteur novice qui doit encore se concentrer exclusivement sur sa conduite.

“Pourquoi la routinisation est-elle si importante ? Parce qu’elle libère les ressources du cortex… Tant qu’un apprentissage n’est pas automatisé, il absorbe les précieuses ressources de l’attention exécutive et empêche de se concentrer sur tout autre chose” p.295

La question à se poser pour le formateur est comment favoriser cette consolidation. La réponse première de Stanislas Dehaene peut paraître à première vue surprenante : par le sommeil !

“Toutes les nuits, notre cerveau consolide ce qu’il a appris pendant la journée… La quantité d’apprentissage varie directement en fonction de la durée de sommeil, et surtout de sa profondeur”.

La raison en est simple, dans notre sommeil profond nous réactivons nos connaissances récentes et nous favorisons les liens avec nos modèles mentaux déjà bien ancrés. Or plus nous réactivons nos connaissances, plus nous avons de chances de produire de nouveaux liens entre ce que nous venons de voir et ce que nous connaissons déjà. C’est pourquoi, l’autre manière de favoriser la consolidation qui est beaucoup plus à la main du formateur est la répétition à l’exposition du savoir à acquérir.

Plus l’apprentissage est distribué, plus l’apprentissage est puissant. Mais la distribution ne doit pas se faire n’importe comment. Stanislas Dehaene nous rappelle à travers différentes expériences célèbres de mémorisation que le meilleur espacement est à intervalles croissants comme en témoigne le schéma ci-dessous extrait de la page 287. Cette loi est à prendre en compte par tous ceux qui souhaitent aujourd’hui développer des parcours hybrides et notamment des actions de formation en situation de travail.

 

 

Marc Dennery

Marc Dennery

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