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Approche par les compétences (APC) : mode ou transformation profonde ?

L’Approche Par Compétence dite « APC » ou CBE (Competency-Based-Education) ou encore CBT (Competency-Based-Training) est très en vogue actuellement dans le milieu de l’éducation professionnelle : de l’insertion jusqu’aux écoles de contrat de professionnalisation et aux CFA.

L’APC n’est pas récente et nous vient du monde universitaire. Dès le début des années 1990, des universités canadiennes et notamment québécoises ont mis en place ce type d’approche pour repenser leur modèle pédagogique de type « Approche par Programme » ou « Approche Par Discipline ». Les institutions internationales ont largement repris à leur compte cette approche APC (recommandations par exemple du Parlement Européen et du Conseil de l’Europe). Au niveau National, différents textes de loi réformant « l’Approche Par Discipline » s’en sont fortement inspirés.

De là sont nés, inévitablement, des débats et controverses. Celles-ci sont loin d’être anodines car elles révèlent le niveau des enjeux liées à cette nouvelle approche. Nous y reviendrons en fin d’article. Mais avant, nous allons essayer de préciser ce que cette approche par compétence signifie pour une école professionnelle ou un CFA et ce qu’elle peut apporter (et ne pas apporter également !).

Une nouvelle approche des référentiels de formation…

L’approche par compétence repose d’abord sur une réécriture des référentiels de certification et de formation. La finalité d’une formation n’est plus de faire acquérir seulement des « ressources », c’est-à-dire des savoirs ou savoir faire, mais “des savoir-agir avec compétences” comme le dit Guy Le Boterf (cf. interviews sur notre blog ici et ).

Les référentiels de programme architecturés autour des disciplines (mathématiques, électroniques, technologies, droit) et de la façon dont elles ont été constituées, cèdent la place à des référentiels de compétences ou plus précisément à des référentiels de « situation-problème » cristallisant l’ensemble des ressources à mobiliser pour faire la preuve de sa compétence.

Par exemple, si l’on prend une formation de formateurs qualifiante, une approche par programme ou par les connaissances nous amènerait à architecturer la formation en partant des théories de la pédagogie, puis en déroulant les méthodes de l’ingénierie de formation, de l’ingénierie pédagogique, de l’animation, de l’évaluation. Et ce programme serait suivi par un stage d’application de quelques semaines où les apprentis formateurs seraient amenés à appliquer ce qu’ils ont appris de façon théorique et méthodologique.

Si l’on reprend maintenant cet exemple et que nous le transformons en APC, nous allons élaborer un référentiel de compétence reposant par exemple sur les situations-problèmes suivantes à maîtriser : analyser un besoin de formation avec un commanditaire, bâtir un dispositif pédagogique en réponse à ce besoin, concevoir le parcours pédagogique type, animer les différents temps forts de ce parcours (positionnement, accompagnement, animation synchrone, régulation et remédiation, évaluation intermédiaire et finale…), etc.

Le passage du référentiel de programme en un référentiel de compétences est une révolution quasi copernicienne. Ce qui compte, ce n’est plus faire assimiler la « discipline » telle qu’elle est organisée, mais aider l’apprenant à maîtriser les situations réelles qui font la différence dans l’exercice du métier. C’est pour cela que ces situations-problèmes sont dites situations-emblématiques, critiques ou encore authentiques.

Les pourfendeurs de l’APC voient dans cette structuration par compétence des référentiels un biais évident. Les savoirs acquis par les apprenants peuvent devenir des savoirs en miette. Et surtout, l’Université ne transmet plus une culture, mais fait acquérir des gestes professionnels, une pratique. Elle entre dans une logique utilitariste au service de l’économie.

Les défenseurs de l’APC, quant à eux, préfèrent montrer l’aspect économique de l’apprentissage. On n’apprend les savoirs et savoir-faire qu’à condition qu’ils soient utiles. Les temps d’acquisition théorique et de mise en pratique ne sont plus séparés mais intégrés. Les va-et-vient entre théorie et pratique et pratique et théorie sont permanents. Or nous savons grâce à la didactique professionnelle que nous sommes capables de « conceptualiser dans l’action » tout autant que d’appliquer nos concepts, schèmes, théories d’action dans la situation elle-même.

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… Doublée d’un renversement de la relation pédagogique

Les transformations de l’APC ne se limitent pas à la seule élaboration des référentiels. C’est toute la démarche pédagogique qui est impactée.

Dans une « Approche par Discipline », la formation est bâtie autour du programme des connaissances à acquérir, traduit en objectifs pédagogiques. Le groupe-classe progresse de façon plus ou moins homogène vers ces objectifs. Des évaluations de connaissances sont mises en place pour contrôler cette progression. Quand certains décrochent, on leur propose des actions de rattrapage ou de renforcement. Mais globalement, le formateur est là pour transmettre les connaissances qui sont au cœur de la discipline. Charge ensuite aux tuteurs en entreprise (pour les formations en alternance) ou aux apprenants eux-mêmes (pour les formations se concluant par un stage de mise en pratique) de construire les savoirs d’action en individualisant le parcours pédagogique.

L’APC est d’emblée une approche personnalisée. La première étape du parcours est de positionner chaque apprenant au regard du référentiel des situations-emblématiques à maîtriser. Ensuite, un parcours personnalisé d’apprentissage lui est proposé. Il consiste pour lui à traiter chacune des situation-problèmes qu’il ne maîtrise pas encore.

L’apprenant va donc apprendre à son rythme en se mettant en situation. Avant de faire ou après avoir fait, le formateur peut lui proposer des ressources (e-learning, tutos, e-reading et même un mini cours sous forme d’explication flash si besoin), mais le principe est d’apprendre en faisant et d’acquérir des ressources seulement parce qu’elles sont nécessaires dans l’action. Ne l’oublions pas l’APC puise ses fondements pédagogiques chez John Dewey (cf. la théorie de l’enquête) ou Celestin Freinet (cf. « le tâtonnement expérimental »).

Des bénéfices évidents dans le domaine de l’éducation professionnelle…

Dans l’éducation professionnelle, c’est-à-dire dans l’apprentissage d’un métier, les bénéfices sont évidents. C’est une pédagogie où l’on va droit au but. On dépasse le vieux clivage entre conceptualisation et action.

L’apprenant a le sentiment de contrôle sur sa progression et par conséquent s’engage davantage dans son parcours (les situations d’apprentissage ont plus de sens au regard de ce qu’il doit faire dans son futur métier). L’évaluation est directement de niveau 3 sur l’échelle du modèle de Kirkpatrick. On ne reste pas sur de la simple acquisition de connaissances.

Dans d’éducation initiale, qui n’a pas forcément pour objectif de former des professionnels, mais d’éduquer des hommes et des femmes cultivés capables d’exercer leurs droits citoyens, l’approche est beaucoup plus discutable. Le comble est de vouloir appliquer cette approche à l’apprentissage de la philosophie, de l’histoire, de la littérature et même du droit et des sciences pour des étudiants s’engageant dans des études longues (4, 5 ans voire plus) et non pas seulement dans une formation de courte durée très orientée application (BTS, DUT et dans une certaine mesure certaines formations d’ingénieurs).

… Mais aussi des limites qui imposent une mise en œuvre soignée

Si l’on exclue les errements d’une diffusion trop large de l’APC dans le monde de l’éducation, il n’en reste pas moins que cette méthode représente des bénéfices évidents (cf. supra). Cependant, elle nécessite une mise en oeuvre très rigoureuse et une mobilisation de tous les acteurs.

Pour réussir le déploiement d’une approche APC, nous avons pu constater quelques invariants à partir de notre expérience d’accompagnement :

  • Elaborer les référentiels de compétences avec de vrais professionnels du métier et les actualiser en permanence.
  • Découper finement les référentiels de compétences en situation-problèmes pour que ces dernières représentent réellement les situations que les apprenants rencontreront dans leur futur métier (d’où l’expression de situation-emblématique »).
  • Former les apprenants à apprendre en autonomie et les accompagner dans leur autonomie.
  • Traduire pour chaque compétence les situations apprenantes qui permettront in fine de maîtriser la situation-problème ou situation-emblématique cible.
  • Elaborer pour chaque situation apprenante les fiches d’activités pédagogiques qui sont à la pédagogie APC, ce que sont les scénarios pédagogiques à la pédagogie de l’approche par programme.
  • Concevoir les situations apprenantes dans une approche multidisciplinaire où formateurs professionnels travaillent main dans la main avec les professeurs d’enseignement généraux.
  • Organiser les flux pédagogiques non plus en Groupe-classe mais dans des espaces pédagogiques ouverts où l’unité de lieu, de temps et d’action n’existe plus. Chaque apprenant a son parcours à la semaine ou au mois et navigue à son rythme dans son apprentissage.
  • Conserver une dynamique collective des apprentissages en prenant soin de favoriser les apprentissages collaboratifs en situation (instruction croisée, projet collectif…).
  • Veiller à organiser des temps d’analyse réflexive en amont et surtout en aval des temps de mise en situation sur plateau technique. Ces temps peuvent être réalisées en petit comité afin de renforcer la dynamique collective d’apprentissage.
  • Préparer les formateurs à passer d’une mission de transmission des connaissances à une mission de facilitation des apprentissages (formation notamment à l’entretien d’analyse réflexive).
  • Repenser ses dispositifs d’évaluation en passant d’une logique ancrée sur l’évaluation sommative à une logique d’évaluation prescriptive et formative. Dans une démarche APC bien ancrée, il revient à l’apprenant de décider quand il souhaite être évalué par son évaluateur en vue de passer son examen, il doit donc avoir à sa disposition des moyens d’auto évaluation.
  • Etc.

Vu les exigences en terme de conception pédagogique, d’organisation des espaces et des plateaux techniques, de digitalisation des contenus, de mobilisation des formateurs et enseignants… lors du passage d’une approche par programme à une approche APC, beaucoup d’écoles professionnelles et de CFA s’engagent modestement dans cette démarche.

Poussés par leurs financeurs et l’Education Nationale, elles y répondent souvent par un toilettage des programmes et de la pédagogie mais sans remettre en cause les fondamentaux (primauté de la mise en situation, relation pédagogique inversée, autonomisation de l’apprenant). Or, faire de l’approche compétence de façade, c’est à coup sûr tomber dans l’effet de mode. L’APC sera alors comme toute mode, vite ringardisée.

A contrario, s’investir dans une APC rigoureuse et sérieuse, c’est s’engager dans une transformation profonde de son modèle de formation. Cela prendra du temps, mais c’est une traduction concrète d’un passage d’un modèle de la formation à un modèle de l’apprenance, loin d’être dénué de sens. Cela remet en cause en profondeur la posture du formateur passant de transmetteur à facilitateur. C’est peut-être pour cela qu’elle a tant d’opposant…

Marc Dennery

Marc Dennery

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