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Qualité de l’alternance : et si on regardait du côté de l’entreprise ?

Le succès quantitatif de l’alternance et notamment du contrat d’apprentissage est indiscutable. Mais qu’en est-il du succès qualitatif ? Les datas sont bien plus difficiles à recueillir dans ce domaine. Faute d’audit sérieux dans le domaine, il est difficile de se forger une conviction. Il n’en reste pas moins que la croissance du nombre de CFA de 357% en 4 ans (on est passé de 954 CFA en 2018 à 4.364 en 2022) peut inquiéter. Mais ce n’est pas de ce côté que nous aimerions interroger la qualité de l’alternance. Après tout, Qualiopi est là pour s’en charger…Dans cet article, notre regard s’orientera vers l’entreprise. Car l’enjeu est probablement bien plus important. La formation en alternance réalisée en entreprise (le temps passé à apprendre sur le terrain par l’apprenti.e) représente au doigt mouillé, 1 milliard d’heures d’apprentissage. C’est plus que l’ensemble de la formation des actifs, qui doit représenter environ 750 millions d’heures.

Nous sommes passés de 317.000 nouveaux contrats en 2018 à 369.000 en 2019, 530.000 en 2020, 733.000 en 2021, 830.000 en 2022 et on tournera probablement autour du million en 2023/2024. Pour rappel nous étions seulement autour de 250.000 nouveaux contrats d’apprentissage par an en moyenne, depuis le début des années 2000.

Les trois points de vigilance de la qualité de la formation en alternance, côté entreprises

A partir de nos expériences d’accompagnement à la fois de CFA et de tuteurs, nous faisons le constat quotidien que la réussite d’un parcours en alternance passe par trois conditions incontournables à réunir en entreprise.

Le travail doit être apprenant

Pour apprendre, l’apprenant a besoin de pratiquer. C’est évident, mais à l’inverse de ce que l’on pourrait croire ce n’est pas toujours possible en entreprise. Nous nous en apercevons tous les jours quand nous accompagnons des référents AFEST, responsables pédagogiques de CFA et tuteurs en entreprise, pour bâtir des parcours d’apprentissage au poste. Nous leur demandons de rechercher des situations de travail dites E.S.S, c’est-à-dire :

  • Emblématiques (représentatives de l’activité à maîtriser ou révélatrices de la compétence à mettre en œuvre),
  • Sécurisées (pouvant être réalisées sans mettre en danger l’entreprise, ses clients et évidemment l’apprenant lui-même),
  • Stimulantes (qui mobilisent l’apprenant et qui le challengent).

Ce point n’est pas évident, car beaucoup d’entreprise ne peuvent pas proposer des missions aux apprentis qui couvrent l’ensemble des activités du référentiel de certification de leur diplôme. Et quand elles le peuvent, elles ne laissent pas toujours suffisamment d’autonomie à l’apprenant pour se confronter aux difficultés. Elles sont parfois contraintes de le cantonner dans des tâches répétitives à faibles valeur ajoutée (tel cet apprenti qui lors d’un audit me racontait qu’il préparait un titre pro de mécanicien réparateur de véhicules industriels et qu’il n’avait pu tout au long de son année d’apprentissage, que démonter et remonter des pneus de camion !)

Parfois, c’est l’inverse, l’entreprise demande à l’apprenti de réaliser des tâches pour lesquelles il n’est pas suffisamment formé et préparé, avant de se jeter à l’eau. Elle lui fait courir le risque de perdre son sentiment d’auto efficacité quand ce n’est pas celui de se mettre en danger physiquement…

Aujourd’hui, l’intitulé du poste occupé par l’apprenti n’est même pas indiqué dans le CERFA. L’employeur doit seulement préciser si l’apprenti s’expose à un « Travail sur machines dangereuses ou exposition à des risques particuliers »

Le contrôle de l’adéquation des missions en entreprise avec le référentiel de certification visé semble délégué au CFA qui porte la formation. Mais on le sait, les visites d’entreprises par les CFA sont rares. Et qu’en est-il des CFA d’entreprise qui sont “juges et parties” ?

Pour le moins, il y a dans ce domaine comme l’on dit, « un trou dans la raquette » ! Cette mission de contrôle pourrait relever des OPCO (qui ont 20 jours pour statuer sur la validité du contrat) ou des CFA, mais encore faudrait-il leur en donner les moyens.

Le “modèle” doit être compétent

Quand l’apprenti se forme en entreprise, il le fait soit par une approche réflexive (comme en AFEST), soit par une approche de modelage (par l’observation d’un collègue « modèle », le plus souvent le tuteur ou la tutrice qui l’accompagne). Ces deux approches se combinent mais le modelage reste la façon la plus courante de former au démarrage du parcours pour sécuriser l’apprenant, surtout dans les métiers où le geste technique nécessite de voir avant de faire.

Là aussi, il faut combattre les évidences. Ce n’est pas parce que l’on a exercé le métier pendant des années ou qu’on possède un niveau de diplôme équivalent ou supérieur au titre visé par l’apprenti, que l’on est un « bon modèle ».

Plus le renouvellement des métiers s’accélèrent, plus les tuteurs, tutrices et maîtres d’apprentissage constatent l’obsolescence rapide de leurs compétences. C’est flagrant par exemple dans les métiers du bâtiment où les technologies évoluent à vitesse “grand V”. Mais c’est aussi le cas dans le commerce où souvent les apprentis en savent plus sur comment faire des campagnes de E-marketing, que les tuteurs et tutrices eux-mêmes !

Comment faire alors pour contrôler les compétences techniques du maître d’apprentissage ? Là aussi, un contrôle un peu plus approfondi, a priori par l’OPCO, pourrait être une solution. L’OPCO pourrait par exemple a minima demander un CV détaillé du tuteur, de la tutrice ou du maître d’apprentissage ou avoir un contact avec l’entreprise, pour valider le profil.

Si l’on souhaite rester dans la logique actuelle où la responsabilité de la qualité de l’alternance revient aux CFA, on pourrait demander à ces derniers de s’engager sur l’évaluation de l’adéquation du profil du tuteur ou du maître d’apprentissage avec celui de l’apprenti. Mais cela prendrait du temps à la signature du contrat et ce n’est pas toujours compatible d’un point de vue pratique avec le principe selon lequel le CFA peut démarrer la formation, bien avant que le jeune ait trouvé une entreprise.

La question des compétences techniques des tuteurs-tutrices et maîtres d’apprentissage a été escamotée par la loi Avenir Professionnel, mais les entreprises ne sont pas dupes. Et les plus grandes entreprises, aux politiques et moyens de formation importants, ont pris le problème à bras le corps et ont développé des démarches de « Reverse mentoring » très intéressantes (relire ici  et également ici 10 exemples d’innovations dans les pratiques tutorales). Elles profitent des apprentis pour former leurs tuteurs, tutrices et maîtres d’apprentissage à ce qu’ils ne maîtrisent pas, faute d’avoir pris soin de renouveler leurs compétences. En parallèle, elles accompagnent leurs apprentis à travers non plus un modèle unique (le tuteur ou maître d’apprentissage indiqué sur le CERFA du contrat) mais via une “équipe tutorale”. Plusieurs membres de l’équipe deviennent ainsi, à tour de rôle, des « modèles » pour les jeunes.

L’équipe doit être capacitante

Faire des missions en lien avec sa certification et pouvoir se référer à de « bons modèles » sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes pour réussir son apprentissage. Encore faut-il être dans un environnement pédagogique favorable. Ce que l’on peut qualifier avec Solveig Oudet, d’environnement capacitant, ou pour reprendre ses propres termes « des espaces dans lesquels les individus peuvent puiser ou utiliser (ou non) des ressources, en vue d’apprendre et de se développer » étant entendu que l’espace peut être physique tout autant qu’immatériel et que les ressources peuvent être documentaires tout autant qu’incarnées par des personnes (pour aller plus loin, voir une interview de Solveign Oudet ici).

Pour être en capacité d’agir, d’expérimenter, bref d’apprendre au sein de l’entreprise qui l’accueille, l’apprenti a donc besoin :

  • d’un environnement où des « sachants » lui transmettent leur savoir-faire, mais aussi, l’accompagnent, le rassurent, lui font des feedbacks constructifs.
  • d’un management à la fois exigeant (qui l’invite à se dépasser) et bienveillant (sans le mettre en danger psychologiquement). Le management doit à la fois tolérer l’erreur, encourager mais aussi inciter à s’impliquer et à se surpasser parfois.
  • de pairs qui, comme lui ou elle, viennent d’arriver et avec qui il peut échanger, s’entraider, coopérer.

Bref, on le voit “l’équipe capacitante” dépasse largement la seule exigence d’un tuteur, d’une tutrice ou d’un maitre d’apprentissage bien formé. C’est l’ensemble de l’équipe qui doit être pensée comme une organisation apprenante à disposition de l’apprenti.

Le rapport Masingue réalisé en 2009 sur le tutorat, préconisait déjà, à juste titre, de développer une « démarche qualité tutorale » au niveau de l’équipe qui accueillait les apprentis. Quasiment 15 ans après sa publication, ce rapport reste d’une actualité évidente et il pourrait très bien inspirer encore le Législateur qui aura à légiférer très prochainement sur la qualité des dispositifs en alternance.

Ce n’est pas parce qu’il faut mettre en place des équipes capacitantes qu’il ne faut pas former ses tuteurs, tutrices et maitres d’apprentissage ! C-Campus forme plusieurs centaines de tuteurs et tutrices par an en inter et en intra entreprise sur mesure – consultez nos offres ici et revenez après la pub !

Pour un Qualiopi d’entreprise mais cette fois-ci seulement incitatif et non pas contraignant

En résumé vous l’avez compris, pour favoriser la qualité de la formation en alternance, il nous paraît urgent de mettre en place une démarche de certification pour les entreprises accueillant des alternants.

La démarche Qualiopi qui reste focalisée sur les seuls CFA ne suffit pas à notre avis pour garantir la qualité de l’ensemble du processus d’apprentissage. Le choix politique fait en France est très différent de celui réalisé en Allemagne. En France, c’est « l’école » qui est responsable de la réussite de l’apprenant, en Allemagne, c’est l’entreprise qui est habilitée et chargée d’accompagner les apprentis vers la certification.

Sans passer, d’une logique à l’autre, la solution serait de contrebalancer le nouveau modèle français de l’apprentissage en fixant des objectifs de qualité aussi aux entreprises. Mais quand on dit « fixer des objectifs », ce n’est pas la contraindre avec une obligation de certification comme c’est le cas aujourd’hui pour les organismes de formation et les CFA. C’est une simple logique incitative qui lui permettrait d’être reconnue auprès des alternants mais aussi des CFA comme une entreprise sachant accueillir et accompagner des apprentis.

Le référentiel ne serait pas très difficile à réaliser (les trois conditions présentées ci-dessus pourraient en être son ossature) et les critères pourraient être facilement objectivables, via des interviews et ou questionnaires auprès des apprentis, managers et tuteurs-tutrices.

L’avantage pour l’entreprise ayant obtenu le sésame serait de faciliter ses recrutements d’apprentis mais pas seulement. Car on le sait aujourd’hui, les jeunes générations cherchent de bonnes conditions de travail et le développement professionnel en fait partie.

Les bénéfices pour les tuteurs et tutrices seraient d’être enfin valorisés et reconnus car ils participeraient grandement à l’obtention du sésame. Et pour les apprenants de choisir leur entreprise en connaissance de cause. Bref, cela remettrait de la lisibilité sur le marché de l’alternance.

Enfin, pour les services RH et formation, cela les aiderait grandement dans leur capacité à faire avancer leur politique en matière de tutorat et de qualité de l’alternance. Quand, reconnaissons-le, ils sont encore trop nombreux à prêcher dans le désert !

Avec plus de 44.000 organismes de formation référencés Qualiopi pour environ 88.000 produisant un BPF, soit 50% du marché couvert, on peut reconnaître que cette norme qualité s’est imposée comme une référence incontournable du marché de la formation. C’est pourquoi nous y faisons référence pour promouvoir une certification qualité des entreprises accueillant des alternants. Mais sa logique très lourde et surtout très contraignante (pas de certification, pas de financement public !) est totalement inapplicable aux entreprises accueillant des alternants. Une logique incitative sur le modèle des labels qualités tels que Great place to work ou Top employer ou encore happy trainees semblent bien plus pertinente.

Reste à savoir qui aura les moyens de la mettre en place. Une start-up ? mais qui s’y risquerait aujourd’hui ? France compétences ? Est-ce vraiment de son périmètre, si ce n’est pas une contrainte légale comme c’est le cas pour Qualiopi aujourd’hui ?  Une fédération ou association de CFA ? Pourquoi pas, mais elles ont déjà suffisamment à faire du côté des CFA. Une branche professionnelle ? Certaines pourraient être intéressées mais elles ne couvriraient que leurs champs ? Et si on regardait du côté des OPCO ? Ils ont su faire, quand ils étaient encore des OPCA avec le Datadock. Et la structure existe toujours. Elle s’est transformée en D2OF. Elle pourrait être réinventée, en une approche moins coercitive et plus incitative… à voir mais cela permettrait au paritarisme de revenir ou plutôt d’entrer à nouveau dans le jeu de l’apprentissage.

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Marc Dennery

Marc Dennery

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