Le blog de C-Campus

Pourquoi faut-il déstagifier ?

Cela fait plus de 40 ans que le stage règne en maître dans le monde de la formation. Il est intimement lié à la loi de 1971. Le stage de courte durée, accessible à tous ou presque, porte en lui une idéologie de la formation et de la pédagogie. Aujourd’hui, il est grand temps de le faire sortir par la fenêtre. L’arrivée des nouvelles générations (Y mais surtout Z) et la prochaine réforme devraient enfin permettre la “déstagification“.

Le stage porteur d’une idéologie faussement égalitaire de la formation

Un manager à qui je demandais d’établir le plan de formation de son équipe me répondis un jour : “Bon, c’est comme avec votre prédécesseur : “un stage de deux jours par personne et par an !“ Ce type de réplique est malheureusement courante dans les grandes entreprises. Dans les PME, c’est plutôt : “Et si on demandait à l’OPCA, il doit bien y avoir un stage pour régler ce problème !“ Le stage, c’est trop souvent la réponse facile à de faux problèmes de compétences.

Le stage a permis la massification de la formation. Il est à la formation, ce qu’a été la 2CV, la Coccinnelle ou la 4L à l’automobile. Son format court, l’a rendu peu onéreux d’un point de vue unitaire. Le fait qu’il n’y ait pas de sanction, a rassuré les entreprises (pas d’obligation de prendre en compte les acquis).

Tout le monde y a droit ou presque (pas les plus petites entreprises, évidemment – 3% de départs en formation pour les TPE, 15,5% pour les 10/19 salariés). Il permet d’afficher des taux d’accès à la formation chaque année meilleur (41% pour les entreprises de + de 10 salariés en 2010). Il donne l’illusion que tout le monde a une part du gateau.

Cela n’empêche pas quelques ronchons de dénoncer l’aspect inégalitaire de la formation, mais sur quoi s’appuient-ils ? Sur des rapports compilant des chiffres de stage. Peut-on vraiment dire qu’une personne a été formée lorsqu’elle a suivi un stage d’un jour dans son entreprise ? Est-ce comparable à une autre personne ayant acquis une certification ? Et pourtant chacune compte “1“ dans les statistiques.

Le stage a permis au petit monde de la formation de se donner bonne conscience. Il a permis de saupoudrer l’effort de formation. Et de donner un satisfecit aux politiques mis en oeuvre depuis 1971.

Le stage porteur d’un modèle pédagogique

Le stage s’est développé en opposition au modèle classique de l’éducation. Le sachant n’est plus sur l’estrade diffusant au plus grand nombre le savoir, mais au coeur du groupe de 12. Le stage est un héritage de mai 1968 : tous égaux, mais certains plus que d’autres. Le formateur est au centre, il anime, il régule. Les stagiaires participent, peuvent même contredire le formateur, mais au final, c’est toujours ce dernier qui, par sa position, contrôle la situation.

Avec le stage, la relation pédagogique passe de la masse au groupe. Le modèle de relation n’est plus le “râteau“ mais “l’étoile“. Mais ce n’est pas encore le réseau. Le stage est l’expression d’une pédagogie datée. Celle d’avant Facebook, Twitter, Linkedin, Google… L’apprenant reste dépendant du sachant. Il est loin d’être auto-dirigé. Le stage est l’anti modèle de l’apprenance. Les nouvelles générations n’en voudront (veulent ?) plus. Il n’est qu’à voir les problèmes des formateurs avec les smartphones : leur premier concurrent quand ils animent leurs stages.

Le stage porteur d’une organisation de la fonction formation très onéreuse

Le stage a généré des contraintes administratives considérables : inscription des salariés, réservation de salles, gestion des invitations et des absences, des feuilles de présence, des conventions et des factures… Il a bien fallu créer une fonction pour ça. C’est ainsi que s’est développée la fonction formation qui n’existait pas avant le milieu des années 1960. A l’époque, en dehors des grands groupes, le responsable de formation était un formateur sur le terrain. Il formait, mais ne gérait pas.

Ce modèle d’organisation est excessivement coûteux. Les entreprises en ont pris conscience et cherchent des solutions pour l’optimiser. Elles externalisent la fonction, mais elles ne font que déporter les coûts. Elles font du blended learning, mais juxtaposer quelques modules de E-Learning à un stage présentiel encore plus court ne va pas réduire les coûts (Le blended learning, c’est beaucoup plus riche qu’une simple juxtaposition, et son apport n’est pertinent que pour des parcours longs).

Les directeurs de la formation les plus innovants ont pris conscience de ce problème. Il sont convaincus que le stage arrive en bout de course. Ils essaient de limiter le nombre de stages, mais se heurtent alors au consensus mou dont ce dernier bénéficie et que nous dénoncions plus haut. Comment faire accepter à un salarié qu’il n’a plus droit à son stage et qu’à la place son manager va l’accompagner pour le développer ou qu’on va lui mettre à disposition des outils et du temps pour s’auto-former ?

La prochaine réforme sonnera t-elle le glas du stage ?

Nous le croyons. Et si ce n’est pas la fin du stage, car le concept est résistant, cela pourrait être une inversion de tendance significative. L’importance du changement va dépendre de ce qui va se jouer autour du CPF.

Le CPF, dans la loi de sécurisation de l’emploi, est défini comme un “anti stage“ (formation diplomante ou certifiante a priori). Si la définition du CPF n’évolue pas (rien n’est moins sûr car des lobbies vont opérer pour défendre le stage), une part importante du marché de la formation va évoluer vers des formations plus longues, plus certifiantes ou qualifiantes.

Par ailleurs, si le CPF trouve son financement dans une partie du 0,9% et qu’en échange les entreprises obtiennent la suppression totale ou partielle de l’obligation fiscale, les comportements à l’égard de la formation vont sensiblement évoluer. Pourquoi organiser des stages, dont tout les décideurs de l’entreprise sont convaincus que cela ne sert pas au final à grand chose, s’ils ne sont plus “remboursés“ ?

Deux autres voies à explorer

Supprimons le stage ! Mais que restera t-il après ? Supprimons la formation tant que nous y sommes. Loin de nous cette pensée. Il y a deux voies à explorer en parallèle.

La voie des parcours certifiants

La réforme de 2004, l’avait imaginé, les entreprises et les OPCA l’ont détourné. Une troisième voie se dessinait en effet dans l’ANI du 20 septembre 2003. Entre le stage, modèle quasi unique du plan de formation et et la formation diplômante, référence du CIF, le modèle du parcours mi-long, mi-court (entre 100 et 200 heures), alterné et tutoré, avec évaluation amont et aval (si possible certifiante) était inscrit dans les périodes de professionnalisation et les principes de combinaison des dispositifs DIF et Plan de formation de type “développement des compétences“. Mais les négociateurs n’ont pas été suivis. Trop complexe, la co-décision est passée à la trappe. Et les périodes de professionnalisation, comme le DIF, n’ont fait que renforcer le stage.

Pourtant les parcours certifiant combinent la souplesse du stage et la valeur certifiante des formations diplômantes. Ils n’ont pas le défaut de formations trop théoriques sans tomber dans l’excès des formations sur le tas. Leur durée et modalités sont à la fois compatibles avec l’organisation d’une entreprise et l’objectif d’employabilité recherché par les salariés.

La voie de l’auto formation et de la formation terrain

A côté des parcours certifiants qui ne peuvent répondre à tous les besoins (ils sont inadéquats pour des montées en compétences permanentes), la voie de l’auto formation et de la formation terrain est à creuser. Modèle de référence du monde de la formation des années 1950 et 1960, la loi de 1971 en a eu raison. Si bien que la France a un retard considérable dans le E-Learning.

L’auto formation et la formation terrain remet l’église au centre du village. Elles amènent l’entreprise à repenser ses dispositifs de formation autour de la motivation de l’apprenant et non plus autour de ses financements. Elles rapprochent la formation du besoin opérationnel. Elles inscrivent la formation dans le travail et le travail devient apprenant. La formation n’est plus un temps (un monde ?) à part. Elle se remet au service du management et de la performance. 

Parcours certifiant / Auto formation / Formation terrain vs Stage : le match est engagé. Qui gagnera ? Réponse dans 3 ans, mais avant, la prochaine loi sur la formation devrait nous permettre d’affiner notre pronostic.

Marc Dennery

Marc Dennery

1 comment

  • Les soixante-huitards n’ont pas encore tout à fait rendu les armes… et ça fait vivre tellement de monde dans les instances syndicales et patronales, cette magnifique usine à gaz de la FP que personne ne nous envie au monde…

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