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Entrées/sorties permanentes, le vrai enjeu des ex-CFA et futurs organismes de formation en apprentissage

La loi “Avenir Professionnel” du 5 septembre 2018 transforme en profondeur le terrain de jeu de l’apprentissage. Elle fait trembler les CFA existants et attise les convoitises des organismes de formation professionnelle et des grandes entreprises qui voient déjà des opportunités financières certaines.

Outre le coût contrat, la fin de la carte régionale des formations, l’ouverture des certifications aux titres professionnels (depuis 2015)… ce qui nous paraît le plus impactant d’un point de vue “business” est le principe d’entrées/sorties permanentes et l’ouverture aux jeunes jusqu’à 29 révolus et leur corollaire, l’adaptation du parcours de formation au profil de l’apprenant.

L’entrée / sortie permanente consiste à permettre à toute personne d’entrer en apprentissage et de sortir à tout moment, et non plus seulement d’entrer en septembre et de sortir en juin.

Jusqu’à présent, le business model des CFA était basé sur un volume d’heures assuré dès lors que la rentrée se  passait bien. Le défi majeur était le recrutement des jeunes, et ensuite, il suffisait de savoir gérer en bon père de famille locaux et équipement pédagogique et masse salariale des professeurs et administratifs. Et quand les fins de mois devenaient difficiles, la Région et la Taxe d’apprentissage venait couvrir les pertes.

Avec l’entrée / sortie permanente de profils très hétérogènes les règles du jeu change. Le recrutement reste primordial, mais une fois le jeune (plus ou moins jeune – jusqu’à 29 ans révolu) entré, il faudra optimiser son parcours pour lui donner juste assez, juste à temps de formation. Les Branches, les entreprises mais également les jeunes et les familles sauront faire fonctionner la concurrence. Ils privilégieront les organismes de formation en apprentissage qui permettront d’acquérir le diplôme ou le titre avec le moins de temps passé en centre de formation.

Du groupe-classe à la personnalisation des parcours

Pour répondre à cette exigence de formation adaptée à chaque profil, les organismes de formation en apprentissage vont devoir remettre en cause totalement leur modèle d’organisation pédagogique. Jusqu’à présent, sauf rare exception, le modèle était basé sur le groupe-classe. Le formateur de CFA intervenait dans le cadre d’une dramaturgie pédagogique très classique : un même groupe d’apprenant réalisant les mêmes activités pédagogiques dans un même lieu à une même heure.

Si vous avez l’occasion de retourner dans un CFA, vous serez d’ailleurs surpris d’entendre, chez certains d’entre eux, toutes les 50′ ou heure, une sonnerie comme à l’école. C’est tout simplement les groupes d’élèves qui changent de professeurs !

Ce groupe-classe n’a plus de raison d’être dans une formation à entrée-sortie permanente. Chaque apprenti suit son propre itinéraire de formation. Il continue à venir en centre de formation, mais ses activités d’apprentissage lui sont propres. On passe ainsi d’une pédagogie indifférenciée à une pédagogie personnalisée.

Les 5 défis pédagogiques des futurs organismes de formation en apprentissage

Conséquence, les CFA ou plutôt les futurs organismes de formation en apprentissage, vont devoir se transformer en profondeur pour proposer un nouveau modèle pédagogique dont la finalité première est la personnalisation.

Défi n°1 : La création des outils pour positionner et évaluer en continue les apprentis

Pour personnaliser, il faut d’abord savoir positionner. Les référentiels de certifications conçus selon une approche emploi / compétences y aideront. Mais il faudra développer des outils de positionnement pour pouvoir identifier les compétences réellement acquises avant d’entrer et celles à acquérir au cours du parcours.

Quiz, simulation, assessment center, portefeuille de compétences… sont autant d’outils qui devront être maîtrisés par les organismes de formation en apprentissage.

Une fois entré, l’apprenti ne voudra certainement pas attendre la fin de l’année pour passer son examen. Son employeur non plus, qui souhaitera probablement l’embaucher au plus vite en CDI s’il fait l’affaire ! Les CCF ou contrôle continue en formation vont prendre le pas sur le contrôle final. Ce qui va impliquer une ingénierie de l’évaluation nouvelle pour les organismes de formation en apprentissage. Là aussi des outils et des démarches sont à inventer.

Défi n°2 : L’investissement dans la conception et les banques de données pédagogiques

Si chacun suit son parcours, cela signifie que le cours magistral et les TP identiques pour tous, n’auront plus lieu d’être. Par conséquent, les organismes de formation vont devoir investir lourdement dans la conception de parcours de formation multi-modaux ou hybrides et la constitution de bases de données pédagogiques (digitalisation des contenus, plateforme de diffusion de contenus, mais également de gestion de la relation pédagogique : apprenti, responsable pédagogique, formateur, tuteur en entreprise…).

Aujourd’hui, la plupart des CFA sont sous-équipés en ingénierie pédagogique. Souvent, les responsables pédagogiques n’ont que le nom de “pédagogique”, ils font avant tout de l’accompagnement administratif et social. Ils interviennent parfois autant pour détecter les offres de formation les plus pertinentes ou pour placer le jeune en entreprise que dans l’animation de l’équipe de formation et la conception de parcours. Responsables pédagogiques et responsable de filières se confondent trop souvent. Les organismes de formation en apprentissage vont devoir investir des moyens très important non seulement pour digitaliser leur offre mais surtout pour concevoir une pédagogie par projet où chacun pourra se former à son rythme avec ses pairs.

Défi n°3 : L’investissement dans l’accompagnement et la guidance pédagogique

A côté d’un fort investissement en conception pédagogique et constitution de bibliothèques de contenus digitalisés, les organismes de formation vont devoir mettre en place des dispositifs d’accompagnement pédagogiques bien plus sophistiqués qu’aujourd’hui. Jusqu’à présent, via le modèle d’organisation pédagogique en groupe-classe, l’accompagnement était réalisé par le formateur présentiel lui-même. 90 ou 95% des apprentissages étaient guidés par le formateur en classe. Le travail à la maison reste relativement faible dans la plupart des CFA.

Dans un modèle personnalisé, cet accompagnement est bien plus important. L’autonomie des apprentis ne se décrète pas. Il faut les former à apprendre à apprendre en autonomie et les accompagner dans leur itinéraire personnel de formation.

Défi n° 4 : L’évolution des politiques de rémunération des formateurs

Si les formateurs ne font plus de cours magistraux ou encadrent moins de TP identiques pour tous et qu’en même temps il leur est demandé de produire ou valider des contenus digitaux et de s’investir dans la conception pédagogique, tout le système de rémunération est à remettre à plat. Aujourd’hui, les formateurs de CFA sont rémunérés sur la base d’un temps de face à face de groupe auquel s’ajoute des compléments en pourcentages de ce temps de face à face pour des temps de préparation, de visite d’entreprise, suivi administratif…

Ce système n’a plus de raison d’être. La rémunération des formateurs doit prendre en compte à part entière le temps d’accompagnement individualisé et de production de contenus pédagogiques. Mais ces temps sont beaucoup moins “traçables” que les temps en salle de formation bien cadrés entre deux sonneries !

Pour aller plus loin : Digital learning, une question d’identité professionnelle pour les formateurs ! – cliquez ici.

Défi n°5 : La mobilisation de tous les acteurs : comité de direction, équipes d’ingénierie pédagogique, formateurs, administratifs…

Compte tenu des défis précédents, il est évident que le cinquième et dernier défi devient la mobilisation de tous les acteurs du CFA sur la transformation du modèle d’organisation pédagogique. Tous les métiers sont impactés. La digitalisation n’est qu’un aspect de la transformation. Les organisations et le planning, les politiques de rémunération, les besoins en compétences métiers… sont à repenser.

C’est un véritable projet de transformation que le CFA doit mener pour relever tous ces défis. Une vision partagée de l’enjeu et de ces défis est à construire d’abord avec l’équipe de direction puis avec l’ensemble du personnel. Les discours anxiogènes autour de la digitalisation ou de la concurrence ne servent à rien dans ce domaine. A l’inverse, savoir inventer ensemble l’organisme de formation en apprentissage des années 2020 est beaucoup plus positif et mobilisateur. Et cela passe généralement par un projet pédagogique au service des jeunes, autrement dit une “signature pédagogique” propre à l’organisme de formation en apprentissage.

 

 

Marc Dennery

Marc Dennery

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