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De l’intérêt de considérer la formation comme un processus

L’efficacité d’une formation ne peut se juger au niveau de satisfaction des apprenants, ni à ce qu’ils ont appris. Il s’agit prioritairement d’aller voir ce qu’il en reste sur le terrain, donc vérifier qu’il y a un transfert réel des acquis de la formation par les apprenants (donc une montée en compétences effective), voire un impact sur la performance de l’organisation (visible au travers d’indicateurs de résultats soigneusement sélectionnés, comme nous y invite la démarche du retour sur les attentes).

Et pourtant, il est fréquent de questionner la pertinence de la construction pédagogique en fonction du niveau de satisfaction et d’apprentissage (les deux premiers niveaux du modèle de Kirkpatrick). Parfois, on ira jusqu’à rendre les apprenants coresponsables de l’ingénierie pédagogique en leur demandant si tel thème devrait être traité plus longuement, si telle méthode pédagogique était adaptée… Au mieux, cela nous donnera des indications pour les rendre effectivement plus satisfaits. Mais la vraie question n’est-elle pas celle-ci : quelle construction pédagogique envisager pour augmenter significativement le transfert des acquis ?

Les risques de considérer la formation comme un événement

Un chiffre que nous utilisons souvent est celui que nous avait donné une consultante d’un grand organisme de formation. À l’accueil de l’un de leurs espaces de formation, il avait été noté qu’environ 40 % des personnes ne connaissaient pas le nom de la formation qu’elles venaient suivre. 40 % ! Imaginons le dialogue que cela doit amener (à peine caricatural…) :

  • Participant : “Bonjour, je viens suivre une formation”.
  • Personne de l’accueil : “Oui bonjour ! De quelle formation s’agit-il ?”
  • P. : “Euh… je ne sais pas, c’est une formation en bureautique, sur un logiciel…”
  • P.A. : “Hum.
  • P. : “Je crois qu’il y a pas mal de chiffres, de calculs…”
  • P.A. : “Ah, ça doit sûrement être Excel. C’est sur le niveau “initiation” ou “avancé”” ?
  • P. : “…”
  • P.A. : “Bon, donnez-moi votre nom, ça ira plus vite…”

Et ce brave participant, on l’espère, sera probablement très satisfait de sa formation (niveau 1). Et il aura probablement appris des choses très intéressantes (niveau 2). Mais quand on lui demandera à la fin de journée de bâtir son plan d’action et, donc, quelles sont les actions qu’il imagine entreprendre à son retour au travail, sa réponse ressemblera probablement à celle-ci :

Ce que je vais faire avec ce que j’ai appris dans cette formation ? Ce matin encore, je ne savais pas le nom de celle-ci !

Voici le cas typique de la formation qui est considérée et conçue comme un événement : elle “surgit” d’un coup, à un moment dans la vie du salarié, sans qu’elle n’ait été véritablement préparée en amont, ni sans qu’elle n’ait été accompagnée par la suite. De l’événementiel en quelque sorte. Puis la vie professionnelle reprend son cours et le salarié en gardera un souvenir plus ou moins bon. Mais qu’en restera-t-il ? Pas grand chose… voire rien. Et s’il n’y a pas de transfert des acquis, la formation est un coup d’épée dans l’eau, une perte sèche pour tout le monde, pour le participant comme pour son entreprise.

Ce que nous apprend une recherche de Robert Brinkerhoff

Robert Brinkerhoff est un chercheur et consultant américain, désormais bien connu des certifié(e)s Kirkpatrick (car nous en parlons longuement durant la formation…). Dans l’un de ses ouvrages (Telling Training’s Story: Evaluation Made Simple, Credible, and Effective), celui-ci relate les résultats de certaines de ses recherches, avec quelques chiffres particulièrement significatifs et qui viennent appuyer nos propos précédents.

Il a notamment comparé deux groupes de participants ayant suivi une formation du même thème. La comparaison portait ainsi sur les ressources allouées à la formation (pour faire simple : le budget) ainsi que sur le niveau de transfert des acquis à l’issue de celle-ci.

Le budget de la formation pour le premier groupe a été ventilé ainsi :

  • Préparation préformation : 5 %
  • Conception, création, déploiement : 90 %
  • Suivi postformation : 5 %

Vous me direz qu’il s’agit d’un cas assez classique : on met l’accent sur la formation elle-même (un lieu idéal pour les formations en présentiel, un formateur au top, des supports imprimés sur papier glacé…), mais on oublie qu’une formation se prépare et s’accompagne. Eh oui, le transfert des acquis, ce sont des changements de comportements qui sont attendus au poste de travail. Et le changement, cela ne se décrète pas : cela se prépare… et cela s’accompagne !

Les résultats en termes de transfert des acquis pour le premier groupe furent les suivants :

  • N’ont pas essayé de pratiquer : 15 %
  • Ont essayé de pratiquer et ont échoué : 70 %
  • Pratiquent de manière pérenne : 15 %

Ainsi, 15 % n’ont rien tenté. “Partisans du moindre effort”, vous me direz. Mais le plus grave, c’est que 70 % ont voulu transférer, ils ont essayé, s’y sont peut-être “cassé les dents” et, faute de soutien, sont revenus à leurs anciens comportements. Cela donne donc un total de 85 % d’apprenants qui ne transfèrent pas leurs acquis. Pour donner un ordre de grandeur, c’est comme si dans un groupe de formation de douze apprenants, vous n’aviez que deux d’entre eux qui utilisaient leurs acquis. Boutade habituelle que nous faisons en formation : “Bon, les dix autres, vous pouvez partir !” Sauf que l’on ne sait jamais qui va transférer ou non… et, surtout, il est de notre responsabilité d’accroître ce pourcentage. Pour y arriver, changeons de logique et envisageons la formation comme un processus.

Le budget de la formation pour le second groupe a, lui, été ventilé ainsi :

  • Préparation préformation : 25 %
  • Conception, création, déploiement : 25 %
  • Suivi postformation : 50 %

Précisons qu’il s’agit de ventilation et qu’il n’y a pas eu un dollar de plus de dépensé. Nous voyons bien que la logique est ici complètement différente : on forme moins (après tout, le cerveau humain n’est pas fait pour absorber trop d’informations donc autant limiter le contenu) et/ou on trouve le moyen que cela coûte moins cher (la multimodalité peut nous aider dans ce cas). Par contre, on prépare davantage et on accompagne beaucoup. Logique ! Il vaut mieux transmettre moins de contenu mais s’assurer qu’il sera utilisé, plutôt que de transmettre beaucoup pour une faible utilisation. C’est du bon sens, c’est de… l’efficience.

Les résultats pour ce second groupe furent ainsi d’une toute autre nature :

  • N’ont pas essayé de pratiquer : 5 %
  • Ont essayé de pratiquer et ont échoué : 10 %
  • Pratiquent de manière pérenne : 85 %

Nous passons ainsi de 15 % d’apprenants qui transfèrent à 85 %. Inutile d’en rajouter, ces chiffres se suffisent à eux-mêmes.

Notons que l’ouvrage de Brinkerhoff date de 2006, mais que les différentes expériences qu’il a pu mener depuis confortent ces résultats et vont tout à fait dans le même sens.

Dans un précédent article, nous utilisions la métaphore du puzzle pour illustrer toute cette problématique :

Le départ en formation d’un apprenant consiste à prendre une pièce d’un puzzle, à faire changer cette pièce de forme (du fait de l’apprentissage), pour que… celle-ci n’arrive plus à retrouver sa place dans le puzzle à son retour. En effet, lui, n’aura pas changé de forme ou, tout du moins, ne s’est pas adapté au retour de la “pièce modifiée”. Autrement dit, une formation a été dispensée sans penser aux conditions du transfert des acquis

Comment passer à la formation processus

Après avoir fait ce constat, que faire ?

Beaucoup d’actions sont envisageables, mais trois d’entre elles nous sommes prioritaires :

Évaluer le transfert des acquis

Eh oui, cela commence par ce “basique”. Il vous faut un “thermomètre” pour prendre la température et savoir quel est le niveau de transfert des acquis et identifier les améliorations possibles. “Ne compte que ce qui se compte”, comme on dit. Peut-être que les participants du premier groupe de Brinkerhoff étaient très satisfaits de la formation (surtout au vu des moyens consacrés à l’action elle-même) et avaient appris beaucoup de choses. Et pourtant, après coup, il n’en restait pas grand chose.

Pourtant, force est de constater que les pratiques d’évaluation demeurent encore peu développées, même si cela tend à changer, doucement…

Concevoir ses formations comme des processus

C’est là tout le sens du niveau 3 enrichi du nouveau modèle de Kirkpatrick. Désormais, le modèle intègre de nouveaux éléments, comme l’apprentissage “sur le tas” (illustrant la logique du modèle 70-20-10) ainsi que des leviers via quatre verbes d’action : contrôler, renforcer, encourager et récompenser. Ces leviers correspondent aux actions à mettre en œuvre avant, pendant et/ou après la formation afin de favoriser le transfert des acquis.

Le concepteur devra ainsi avoir en tête ce qu’il se passe avant et après la formation, car les chiffres de Brinkerhoff montrent que ces phases sont au moins aussi importantes (si ce n’est plus) que la formation elle-même.

Par exemple, en amont, il pourra réfléchir à la communication à mettre en œuvre, au rôle du manager pour engager l’apprenant, à des tests de positionnement pour que ce dernier prenne conscience de son niveau, à un travail préparatoire, etc. En aval, il pourra s’agir d’intégrer le tutorat, le mentorat et/ou le coaching, de favoriser des échanges entre pairs, de donner des outils et aide-mémoires pour soutenir le transfert, etc. Et ce ne sont là que quelques exemples qui nous invitent à repenser l’ingénierie pédagogique et l’ingénierie de formation pour tendre vers une ingénierie de performance. Car, oui, il n’est pas ici question uniquement de pédagogie et de formation : il s’agit de construire une solution qui permette d’aboutir à un gain de performance.

Améliorer ses formations à la lueur des résultats du transfert

Enfin, il s’agit évidemment de se servir des résultats de l’évaluation du transfert pour améliorer en continu vos formations, afin qu’elles favorisent toujours davantage le transfert des acquis. L’évaluation sans amélioration n’est que perte de temps. Ou dit autrement :

Mesurer pour comprendre, comprendre pour agir

Le raisonnement est simple : vous mesurez le transfert des acquis, vous constatez des résultats plus ou moins bons, vous identifiez des axes de progrès et, donc, vous mettez en œuvre des actions correctives. Puis vous mesurez à nouveau, etc. Une boucle vertueuse en quelque sorte.

Pour illustrer cela, il est possible dans vos questionnaires d’évaluation de niveau 3 (si tant est que vous avez choisi le questionnaire comme outil d’évaluation) de demander à l’apprenant, parmi tous les éléments constitutifs de votre solution (par ex. la formation elle-même, la classe virtuelle de suivi, les modules digitaux, les aide-mémoires fournis, le soutien de son manager, l’accompagnement par le formateur-coach, etc.), quels sont ceux qui ont été les plus utiles pour l’aider à transférer ses acquis. Vous identifierez ainsi ceux à maintenir, voire à renforcer, et ceux qui n’ont qu’une utilité marginale. Vous pourrez donc améliorer en continu vos résultats et tendre vers toujours plus d’efficience (donc plus d’efficacité avec une utilisation optimale des ressources).

L’AFEST comme formation processus… mais pas qu’elle !

Comme nous le proclamions dans un précédent article, élevant l’AFEST au possible “Graal de l’efficacité de la formation”, celle-ci a toutes les caractéristiques d’une formation “processus” en trois temps : une préparation en amont, une formation focalisée sur la mise en pratique et un véritable accompagnement en aval. Charge aux professionnels de la formation de la mettre en œuvre dans leur entreprise et de développer les autres actions de formation (présentiel, distanciel, mixte…) en ayant en tête les chiffres de Brinkerhoff. Car à une époque où, plus que jamais, “un sous est un sou” dans la formation, il est préférable de montrer à ses commanditaires des preuves d’efficacité de la formation, donc du transfert des acquis.

Pour se former et se certifier au nouveau modèle de Kirkpatrick et travailler sur cette approche “processus” pour vos formations.

Pour se former et se certifier en tant que référent(e) AFEST.

Jonathan Pottiez

Jonathan Pottiez

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