Le blog de C-Campus

Résonner pour apprendre !

En lisant le titre de notre article, vous vous dites certainement : « Ils font des fautes d’orthographe, même dans leur titre, sur le blog de C-Campus ! » Et vous aurez tort. Nous ne voulons pas dire qu’il faut « raisonner, réfléchir, penser » pour apprendre (même si c’est loin d’être faux !), mais qu’il faut “entrer en résonance” avec son environnement d’apprentissage, pour mieux apprendre !

Que signifie cette métaphore « entrer en résonance pour apprendre » ? Comment l’avons-nous imaginée ? Et qu’est-ce que cela peut signifier pour l’apprenant et le pédagogue ?

Ces questions vous intéressent ? Prenez quelques instants justement, pour entrer en résonance avec notre article !

Petit détour par la philosophie…

Depuis quelques années, nous sentions une sacrée évolution dans les attentes et les questions de nos clients et de nos apprenants (ces derniers étant essentiellement des personnes qui souhaitent devenir tuteur, formateur ou encore référent et accompagnateur AFEST). Ils veulent du toujours plus court, toujours plus intensif, toujours plus dynamique, toujours plus concret, toujours plus simple…

Et pour satisfaire leur demande, nous répondions et répondons toujours à leurs attentes. Mais quelque chose nous dérangeait car nos vieilles croyances de pédagogues nous disaient que l’effort est source d’apprentissage et qu’apprendre, c’est d’abord se concentrer et comprendre. Et les travaux scientifiques les plus récents des neuro-scientifiques et psychologues de l’apprentissage d’ailleurs, nous en apportaient la preuve régulièrement (cf. les publications par exemple de Jean-Philippe Lachaux, Olivier Houdé, Philippe Carré).

Nous avons eu besoin de mettre des mots sur ce grand écart entre ce que nous renvoyait notre environnement et ce que nous pensions être efficace et nous sommes allé faire un petit détour du côté de la philosophie.

Pour tout vous dire, la philosophie ça n’a jamais été mon truc. Comme je suis psychologue et sociologue de formation, la philosophie est toujours restée quelque chose d’assez hermétique pour moi. Mais grâce à des confrères (cf. note à la fin de l’article) qui m’ont conseillé de bonnes lectures, j’ai pris sur moi et j’ai essayé d’entrer dans ce monde qui me rebutait un peu.

In fine, je ne regrette pas ce cheminement car cela m’a permis d’y voir plus clair. Pour résumer ce que j’ai compris de ces lectures, c’est que nous serions entrés dans un monde toujours plus fluide, toujours plus disponible, toujours plus à portée de main. Cette entrée dans « la fin des choses »,  pourrait même être datée : le 9 janvier 2007, date de présentation du premier Iphone par Steve Jobs !

Depuis ce jour-là, l’Homo Sapiens se transformerait en Homo Ludens. Et pour satisfaire l’Homo Ludens, tout doit être « jeu », « disponible », « fluide »… Bref, la vie à portée de clic !

L’entrer en résonance appliqué à l’apprentissage

Face à cette évolution qui ne cesse de s’accélérer (il n’y a qu’à voir ce qu’il se passe depuis quelques mois autour de l’IA et la sortie de GPT-4) des sociologues et philosophes comme Byung-Chul Han ou Hartmut Rosa nous invitent à repenser notre relation au monde qui nous entoure. Ne plus forcément aller dans le sens de la digitalisation de la vie mais à revenir au concret, au durable, à l’expérience du vivant et non plus seulement à l’expérience numérique.

Sans entrer dans des postures politico-philosophiques des anciens contre les modernes (pour ou contre le digital ou l’IA) bien stériles à nos yeux, nous retenons de ces lectures davantage ce que nous pouvons en faire de façon concrète, pour notre métier de pédagogue. Et dans ce domaine, nous avons trouvé très inspirant le concept « d’entrer en résonance » d’Hartmut Rosa que nous allons appliquer à l’acte même d’apprendre.

Qu’est-ce qu’entrer en résonance selon cet auteur contemporain allemand ? C’est entrer en relation avec le monde qui nous entoure, non pas de façon agressive et dominante mais être capable de résonner aux sollicitations de son environnement. Ce n’est plus disposer des autres et des choses, mais les respecter et entrer dans une relation fertile d’échange avec eux. Ainsi, on devient capable d’accumuler de l’énergie provenant du monde extérieur pour se transformer.

Cette posture philosophique peut être traduite de façon stimulante dans notre posture d’apprenant. Et vous l’aurez compris, c’est là que nous voulons en venir. Hartmut Rosa nous propose quatre caractéristiques fondamentales de l’entrer en résonance que nous pouvons reprendre pour décrire ce qui est à l’œuvre dans l’acte d’apprendre.

1) Le moment du contact (ou affection)

Pour Hartmut Rosa « entrer en résonance avec une personne, mais aussi par exemple un paysage, une mélodie ou une idée, cela signifie être atteint, touché ou animé par lui ou par elle, en quelque sorte intérieurement ».

Lorsqu’on transpose cette première caractéristique de la résonance à l’acte d’apprentissage, on peut dire que pour apprendre, il faut savoir d’abord « être touché » par la connaissance. Et pour ce faire, il est indispensable de se mettre en condition de la recevoir.

Dans une société de l’Homo Ludens, surchargé cognitivement, combien de personnes arrivant en formation sont prêtes à apprendre ? Il y a peu de chance qu’elles soient, ne serait-ce qu’atteinte par le message, si elles en sont encore à penser à tout ce qu’elles ont à faire dans la journée, à lire leurs notifications, à traiter un problème personnel, etc. quand elles s’installent à leur place pour débuter leur formation.

Ce « moment du contact » avec le message pédagogique est de plus en plus délicat cet nous avons de plus en plus de difficultés à faire le silence en nous et à nous « poser ».

2) Le moment de l’efficacité personnelle (ou réponse)

La deuxième caractéristique de l’entrée en résonance, toujours selon Hartmut Rosa, « c’est le fait que nous réagissons à l’impulsion de l’interpellation et que nous allons à la rencontre de ce qui nous a touché ». Et à notre tour « nous sommes aussi capables d’atteindre pour notre part l’autre côté… nous nous sentons reliés au monde, d’une manière efficace et vivante”.

Transféré à l’apprentissage, cela signifie que l’apprenant et le message pédagogique qui lui parvient sont alors reliés. L’apprenant réalise un travail pour questionner ce message, le relier à ce qu’il connaît déjà. Dans une situation de tutorat ou de formation, l’apprenant va se relier au message en sollicitant son tuteur/tutrice ou son formateur/formatrice. Encore faut-il qu’on lui en donne les moyens (style d’animation, temps…) et qu’ils en maîtrise les codes (capacité à questionner et reformuler, à exprimer son point de vue en continuité plutôt qu’en opposition, etc.)

C’est parfois plus difficile en auto-formation, mais cela reste possible grâce aux forums ou communautés d’apprentissage (c’est même prévu dans la réglementation en matière de formation à distance). Mais se relier à un message pédagogique peut s’entendre aussi dans la capacité de l’apprenant à questionner le contenu du module e-learning qu’il consulte. Par exemple en produisant des inférences, en prenant le temps de le résumer (via des cartes mentales), ou le passant au crible de ce qu’il savait déjà, etc.

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3) Le moment de l’assimilation (ou transformation)

« Chaque fois que nous entrons en relation avec un être humain, un livre, une musique, un paysage, une idée, un morceau de bois, nous nous transformons dans la rencontre et par la rencontre, même si c’est dans une mesure tout à fait variable : il existe des rencontres dont nous disons qu’elles ont « fait de nous une autre personne », il y a des assimilations qui ne provoquent qu’un changement à peine perceptible et provisoire… ». Ce que dit Hartmut Rosa de la troisième caractéristique de la résonance est parfaitement transférable à l’apprentissage.

Quand on prend le temps de s’approprier une connaissance, elle ne nous laisse jamais indifférente. Jean Piaget, le grand psychologue du développement l’a parfaitement établi au XXème siècle à travers ses concepts d’assimilation et d’accommodation (cf. notre article ici).

Apprendre, ce n’est pas simplement mémoriser. Il faut sortir de cette représentation de l’apprentissage inspirée du modèle de l’informatique des années 1970 où apprendre se résumerait à faire des copier-coller de la connaissance qui nous parvient. Apprendre (apprehendere en latin), c’est « prendre » la connaissance pour en faire son miel, d’où l’analogie avec la résonance. En physique, un système qui résonne accumule d’abord de l’énergie pour la libérer ensuite. Il ne reproduit pas à l’identique mais produit des oscillations sous une impulsion première. Apprendre, c’est se transformer sous l’impulsion d’un message pédagogique, et ainsi appréhender autrement l’environnement qui nous entoure, pour mieux nous y adapter.

4) Le moment de l’indisponibilité

Quatrième et dernière caractéristique de la résonance selon Hartmut Rosa, « la résonance ne peut être obtenue ni empêchée de manière certaine… {elle} est par nature un phénomène dont l’issue ne peut être déterminée à l’avance ». Hartmut Rosa parle d’indisponibilité pour tout ce que l’on ne peut obtenir directement par notre volonté.

Dans nos sociétés modernes, il existe de moins en moins de choses indisponibles. Nous avons tout à portée de clic. Mais être émue, touchée, “entrée en relation” avec son environnement (un paysage, une personne, un livre…) et voir les choses autrement grâce à lui ou elle, cela ne se décrète pas ! Ce n’est pas de l’ordre de ce qui est disponible. Se payer le plus cher des voyages, ne nous garantit pas d’être touché et transformé !

Il en est de même pour l’apprentissage. Apprendre est un acte, certes volontaire, mais toujours incertain. Ce n’est pas parce que j’écoute le meilleur des formateurs ou que je consulte le meilleur des cours digitaux, que je vais apprendre. Apprendre, nécessite une rencontre entre ce que je sais, ce que je cherche, ce que j’attends, ce dont je suis capable… et un message pédagogique, un savoir à disposition, une mission ou situation apprenante, à un moment T.

A l’inverse de ce qu’on nous rabâche à longueur de discours marketing techno-pédagogique, l’apprentissage ne peut être déterminé à l’avance. Apprendre, ne peut se mettre en équation !

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Quelques enseignements à tirer pour la formation

Penser la formation comme un processus d’entrer en résonance de l’apprenant avec son environnement (formateur, tuteur, contenu et message pédagogique) et non plus comme un simple processus de transmission d’une expertise d’un sachant à un néophyte, cela amène à tirer quelques enseignements à la fois pour l’apprenant et le formateur :

Pour l’apprenant

Il faut se faire à l’idée qu’on n’apprend que rarement « à l’insu de son plein gré ».  Et qu’apprendre, c’est accueillir une connaissance nouvelle et que pour ce faire, il est indispensable de se relier à elle. Concrètement, cela signifie qu’il faut créer les conditions pour qu’un message pédagogique nous touche. Par exemple :

  • Etre d’un point de vue cognitif totalement disponible,
  • Laisser venir à soi la connaissance et lutter contre ses biais cognitifs, pour s’exposer à des contenus nouveaux et différents, même si parfois ils nous dérangent, nous interpellent, remettent en cause nos cadres de références,
  • Persévérer quand on ne comprend pas : toujours se dire qu’en vivant d’autres expériences d’apprentissage, un déclic pourra se produire.

Pour le formateur ou la formatrice

Savoir qu’in fine, les formateurs et formatrices ne sont pas grand-chose dans l’acte d’apprentissage, devrait nous rendre plus modeste et surtout orienter nos pratiques. Puisque c’est l’apprenant qui entre en résonance avec la connaissance, accompagnons-le pour qu’il puisse être touché par les messages pédagogiques qui lui parviennent (expérience de formation, cours digitaux, lecture, observation d’experts, rencontres apprenantes…).

L’accompagner cela signifie concrètement :

  • Créer les conditions pour qu’il soit disponible d’un point de vue cognitif : temps de pause, réveil pédagogique, règles de vie…
  • L’amener à comprendre ce que c’est qu’apprendre (par exemple en lui faisant toucher du doigt la différence entre lire un livre ou consulter un cours digital et les étudier en profondeur, entre travailler avec un tuteur et l’observer travailler, ou encore entre réaliser une tâche et expérimenter en situation de travail).
  • L’encourager à persévérer quand « l’entrer en résonance » n’a pas lieu.
  • Rester disponible et comprendre son questionnement et son raisonnement, quand il chemine vers la connaissance.
Cette article doit beaucoup à Olivier Charbonnier et Guy Le Boterf qui m’ont fait connaître Hartmut Rosa. Pour la petite anecdote, Olivier Charbonnier m’a parlé d’Hartmut Rosa lors d’un diner au cours duquel on aime bien échanger sur ce qui nous anime et nous intéresse dans le moment. Mais lors de ce premier diner, je n’étais pas “entré en résonance” avec son message car la bibliographie d’Hartmut Rosa ne me faisait apparaître que des livres d’une certaine épaisseur et densité ! Quelques semaines plus tard à l’occasion d’une rencontre du même type avec Guy Le Boterf, je me suis décidé à investiguer davantage. Si deux confrères portaient la même opinion sur un même auteur, c’est qu’il fallait aller plus loin… Et c’est ainsi que j’ai creusé le sillon et pris un réel plaisir à découvrir cet auteur et d’autres comme Byung-Chul Han. On peut dire d’une certaine manière qu’ils ont joué un rôle “formateur” à mon égard, mais tant que je ne publiais pas cet article, ils ne le savaient pas. C’est pourtant aussi ça, une des missions du formateur / de la formatrice !
Marc Dennery

Marc Dennery

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