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Formation : halte à l’évaluation permanente de la prestation par l’apprenant !

C’est devenu un mantra de la relation de service : vous quittez votre chambre d’hôtes et vous recevez immédiatement une notification pour savoir si vous l’avez trouvé agréable ! Vous terminez une visio sur Teams ou Meet et, rebelotte, on vous propose de mettre une note de 1 à 5. Le comble, ce sont les toilettes des stations-services d’autoroute. Surtout n’oubliez pas de dire qu’elles étaient propres !

On est entré dans la société du smiley. La formation ne déroge pas à la règle. Le formateur y est évalué à chaud, à froid et parfois même à “très chaud” (parfois chaque séquence de la formation est évaluée sur les parcours modulaires). Honnêtement, on peut se demander si cette manie de l’évaluation permanente est raisonnable pour la formation ? N’y aurait-il pas mieux à faire pour évaluer sérieusement une prestation aussi complexe que la formation ?

Pourquoi l’évaluation par l’apprenant est un non-sens !

L’affirmation peut paraître provocante mais à y regarder de près, peut-être pas tant que ça. Surtout si on entend par évaluation, le fait de demander aux apprenants de renseigner de simples questionnaires de satisfaction à l’issue de leur formation. Deux séries d’arguments peuvent être avancées.

L’apprenant n’est pas le mieux placé pour évaluer son formateur ou sa formatrice

Vous viendrait-il à l’idée d’évaluer en tant que passager votre commandant de bord d’un vol Paris-Tokyo ? Ou votre médecin spécialiste, si vous étiez atteint d’une grave maladie ? Certainement pas, même si aujourd’hui vous pouvez le faire sur Doctolib !

Vous pouvez juger si vous n’avez pas subi de secousses en vol ou à l’atterrissage, ou si votre médecin vous a bien accueilli et était convivial, mais que pouvez-vous dire sur son diagnostic ? Quelle appréciation pouvez-vous porter sur la pertinence du protocole de soins qu’il vous propose ? Que connaissez-vous des conditions météo que vous avez traversées, de la consommation de carburant de l’avion, pour évaluer votre commandant de bord ?

Est-ce différent pour un formateur ? Ne sommes-nous pas dans le même contexte d’expertise ? Que ce soit pour le commandant de bord, le médecin ou le formateur, le service visible ne reflète qu’une infime partie du travail réalisé par l’expert.

Pour le formateur, il s’agira de sa capacité à gérer la dynamique de groupe, à faire acquérir des connaissances irréfutables, à favoriser des prises de consciences. Tout ceci, l’apprenant peut-il en être juge ? Dans la plupart des cas, il n’est pas capable, de là où il se situe, de savoir si le formateur a su déjouer des problèmes de dynamique de groupe importants, même Google ne peut pas l’aider pour évaluer les connaissances partagées. Quant aux déclics en formation, on sait très bien qu’ils se poursuivent souvent bien après la fin de la formation (surtout pour les formations de développement professionnel et personnel).

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Alors remettre à l’apprenant la responsabilité d’évaluer la prestation du formateur ou de la formatrice, c’est mesurer l’écume de la formation ! L’ambiance, l’aspect convivial du formateur ou de la formatrice, l’aspect fluide de l’apprentissage (“c’était dynamique, on n’a pas vu le temps passé !”). Mais l’essentiel d’une formation est ailleurs : qu’est-ce qu’a acquis l’apprenant ? qu’est-il prêt à transférer dans son quotidien ? En quoi la formation lui permettra-t-elle d’être plus performant ? ou de rendre son environnement plus efficace ?

Et tout cela ne se mesure pas par un questionnaire à chaud. Quant à savoir si son formateur ou sa formatrice a agi en professionnel compétent, pour permettre à l’apprenant de répondre positivement à l’ensemble des questions précédentes, comment peut-il le savoir, n’ayant jamais exercé lui-même le métier de formateur ?

L’évaluation de la formation par l’apprenant entraîne des biais importants

Le fait de multiplier les évaluations du formateur ou de la formatrice par l’apprenant ne serait pas bien grave si elle n’entraînait pas des biais dans la relation formé-formateur-entreprise.

  • Biais n°1 : l’évaluation permanente invite l’apprenant à se positionner en “spectateur de sa formation”. “Ce n’est pas à moi d’apprendre, mais à vous, formateur, de me former”, se dit l’apprenant. “Faites le show, je vous dirai si c’est bien à la fin”. Quand certains stagiaires (on ne peut pas parler d’apprenant dans ce cas !) démarrent ainsi, on peut craindre le pire.
    La formation est une prestation co-produite entre le prestataire et le client. Pour renforcer son engagement, il ne faut surtout pas l’amener à se mettre dans une posture d’évaluateur du prestataire mais il faut l’inviter à entrer dans une relation de coopération avec le formateur.
  • Biais n°2 : du côté du formateur, l’évaluation permanente l’invite à s’engager dans un processus de séduction. Le formateur va tout faire pour obtenir une bonne appréciation, quitte à lâcher lorsque l’apprenant résiste. Mais apprendre nécessite souvent des efforts et de dépasser des résistances. Le formateur démagogue est loin d’être le meilleur des formateurs !
  • Biais n°3 : enfin du côté de l’entreprise ou du financeur, l’évaluation par l’apprenant est une solution de facilité. Si on s’arrête à l’évaluation à chaud de l’apprenant, on aura du mal à savoir si la formation était pertinente. Sacraliser ce type de formation, c’est en quelque sorte botter en touche en se limitant à mesurer si les stagiaires ont passé un bon moment.

Pour une approche ouverte de l’évaluation de la prestation de formation

Pour ne pas tomber nous-mêmes dans la facilité, nous aimerions terminer cet article en relativisant notre propos et en proposant une double alternative à l’évaluation par l’apprenant.

L’avis des apprenants est toujours intéressant

Relativisons d’abord notre propos. Ce que nous avons critiqué précédemment, ce n’est pas le fait que l’apprenant donne son avis sur la formation et même sur le formateur ou la formatrice, mais qu’il en soit le seul juge. Bien sûr nous utilisons tout au long de nos formations de nombreux outils et techniques pour obtenir du feedback des apprenants (météo de la formation, séquence de régulation, bilan de fin d’action, etc.). Mais ces outils sont qualitatifs et permettent de contrôler la progression du groupe et des apprenants, ainsi que la qualité de la relation formateur-apprenants. Il ne s’agit pas de mettre des notes, porter des jugements sans explications. Cela reste entre le formateur et les apprenants. On s’inscrit dans une démarche de coopération et non pas de dédouanement (“Si je n’ai pas appris, c’est que le formateur n’était pas bon”).

L’alternative de l’évaluation par les pairs

Dans les métiers de la relation, comme les soins, la psychologie ou encore le coaching, l’évaluation est toujours passée et passe encore par une démarche de supervision. Le professionnel dans ces métiers bénéficie de l’accompagnement d’un pair pour progresser. Il ne l’évalue pas au sens caricatural du terme, mais il lui propose des feedback qui lui permettent de capitaliser sur ses acquis et peuvent l’aider à trouver des solutions face aux difficultés qu’il rencontre.

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Ces pratiques existent aussi en formation, mais elles semblent être encore très (trop) rares. Avec le développement des démarches qualité de type Qualiopi, il serait bon de développer ce type d’approches (cela rentre par exemple parfaitement dans l’indicateur 21). Et peut-être faudrait-il dans ce cas que l’indicateur 30 soit interprété de façon moins systématique par les auditeurs.

L’alternative de la certification par les pairs

Pour garantir la qualité de la prestation du formateur ou de la formatrice, puisque c’est ce que l’on cherche à travers toutes ces évaluations à chaud et à froid des apprenants, on peut proposer une autre alternative inspirée des professions à risque et/ou fortement réglementées. C’est la délivrance d’une certification ou d’une qualification permettant d’exercer le métier. C’est le cas des métiers dans le domaine socio-médical, du transport et de biens d’autres professions dans les services. Nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi un métier aussi impactant que celui de formateur peut être exercé sans aucune prise de garantie, sans aucune barrière à l’entrée !

Pourtant la certification “FPA” existe. Elle est délivrée par le Ministère du travail. Elle est très reconnue dans le milieu de la formation et un vaste choix d’offres permet de s’y préparer (dont celle de C-Campus – cliquez ici.), mais elle n’est toujours pas devenue obligatoire.

En rendant obligatoire une certification pour les formateurs professionnels en organisme de formation, cela permettrait peut-être enfin de passer un cap dans le domaine de la qualité en formation. Car pour l’instant les réformes se succèdent et il est toujours aussi facile d’accéder au marché : il y avait 60.000 organismes déclarés en 2014, il y en aurait aujourd’hui 118.000 ! (sources – webinaire de la fédération des acteurs de la compétence du 22 septembre 2022). Tout le monde peut devenir formateur. Si c’était le cas pour mon médecin ou mon commandant de bord, cela ne me rassurerait pas ! Et vous, est-ce que cela vous rassure quand vous êtes apprenant ?

 

Marc Dennery

Marc Dennery

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