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La fabrique accélérée des compétences : nouvel enjeu RH

Ce lundi nous poursuivons notre série de 5 articles de l’été. Ces articles ont été initialement rédigés pour notre partenaire News Tank rh management. Ils ont pour point commun de proposer de nouvelles pistes pour une formation revisitée, plus proche du terrain, plus pertinente aux regards des enjeux démographiques, de compétitivité à l’international et des nouvelles formes d’accès à la connaissance (digitalisation, IA…).

News Tank rh management est depuis 2012  l’agence d’information de référence pour les décideurs. Indépendante, elle est spécialisée dans l’actualité des relations sociales, de la formation professionnelle, du learning, des compétences, du talent management et des technologies au service des RH. Cliquez-ici pour un abonnement gratuit d’un mois.

La tempête des tarifs douaniers a remis le sujet sur la table : « Peut-on relocaliser des usines rapidement ? » La réponse des experts est unanime : « Non, car on n’aura pas les compétences ! ».

Effectivement, ce n’est pas si simple de « fabriquer des compétences ». Il ne suffit pas d’inscrire des personnes en formation. C’est beaucoup plus complexe. Car on ne parle pas uniquement de simples compétences individuelles, mais des compétences « cœur de métier » de l’entreprises. Voyons donc de quoi il s’agit exactement, comment les fabriquer et quelles leçons peut-on en tirer pour les fonctions RH et L&D ?

Qu’est-ce que maîtriser des compétences cœur de métier, pour une entreprise ?

C’est pour une entreprise, concrètement maîtriser des savoir-faire distinctifs qui lui permettent de produire de façon unique des services ou produits à valeur ajoutée. Ces savoir-faire ou compétences propres à l’entreprise sont beaucoup plus que la somme des compétences de chacune de ses ressources humaines, prise séparément.

Si on fait un parallèle avec une équipe de football, la compétence de l’équipe de France jouant la finale de coupe du monde le 18 décembre 2022 au Quatar, ce sont beaucoup plus que les talents individuels des 11 joueurs qui démarrent le match. Cela en fait partie, mais cela comprend aussi le banc et le staff et surtout toute une organisation, des savoir-faire tactiques, des méthodes et technique d’entraînement, de préparation, de récupération, une culture du jeu spécifique (peut-être pas suffisamment portée sur les séances de tirs au but !), des équipementiers et partenaires qui travaillent en réseau pour apporter chacun leur valeur ajoutée, etc.

Pour le dire de façon plus technique, les compétences cœur de métier d’une entreprise, ce sont en fait trois couches complémentaires et interdépendantes de compétences.

Des compétences collectives

Ce qui compte, c’est le maillage des compétences au sein de l’entreprise. Ce n’est pas la quantité ou la qualité des compétences individuelles qui fait la différence, mais leur complémentarité et leur mise en œuvre au bon endroit, au bon moment.

Des compétences organisationnelles

Dans le modèle de l’artisanat la compétence repose sur la personne. D’où, le compagnonnage. Dans le modèle entrepreneurial, c’est l’organisation qui porte la compétence. Il suffit de visiter une usine ou de passer derrière le guichet d’une agence bancaire pour le comprendre. La compétence est incorporée dans les modes opératoires, les outils, les processus. Tout est rationalisé, afin de permettre l’enchaînement le plus fluide des tâches.

Des chaînes de compétences client-fournisseurs

Par « chaînes de compétences », on entend les chaînes d’interdépendances qui sont à l’œuvre entre les différents clients-fournisseurs impliqués pour produire le produit ou le service final. Toyota a été la première entreprise à comprendre l’importance de ces interdépendances. Elle en a créé un modèle de management : « le Toyotisme ». Il repose sur le principe de l’entreprise élargie. L’entreprise en contact avec le client est amenée à développer les compétences de ses fournisseurs, pour accroître sa propre compétitivité. Il ne s’agit pas d’appliquer « L’art du deal » façon Donald Trump, mais de bâtir des partenariats de compétences solides et pérennes, où chacun selon ses capacités, apporte sa pierre à l’édifice.

Comment accélérer la fabrique des compétences cœur de métier d’une entreprise ?

Cela fait des décennies qu’experts, consultants et chercheurs essaient de répondre à cette question. Cela a donné lieu à un courant en sciences de gestion : « l’organisation apprenante », avec ses maîtres à penser venus d’outre atlantique : Peter Senge, Chris Argyris, Donald Schön. En vogue dans le monde de la formation dans les années 1990, la déferlante digitale, les réformes de la formation toujours plus rapprochées et les co-financements toujours plus substantiels, ont fait passer leurs solutions pour l’organisation apprenante, au second plan. Mais elles sont plus que jamais utiles aujourd’hui pour les entreprises qui souhaitent relocaliser ou tout simplement développer leur compétitivité à l’échelle nationale et internationale. On peut les résumer à travers 4 idées forces.

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Modéliser ses savoir-faire

La fabrique accélérée des compétences démarre par le recensement, la formalisation et la modélisation de ses savoir-faire critiques. Tout ce qui peut être écrit, schématisé, digitalisé, enregistré, capitalisé, doit l’être. Car tout ce qui est tracé devient disponible à tous et donc fait gagner du temps. Ce travail est généralement réalisé par les bureaux des méthodes ou les équipes de lean production dans les usines. Dans les métiers du service, ce travail peut être pris en charge par des équipes de knowledge management ou des directions métiers ou de la transformation. Mais c’est moins systématique. L’IA va certainement bien aider dans ce domaine.

La véritable compétence se joue aux interstices du travail

Aucune entreprise compétente ne s’arrête à la modélisation du travail prescrit. Celles qui s’y arrêtent deviennent des bureaucraties. Tout se joue dans les interprétations du travail tel qu’il est défini. L’image du trio ou du quintet de jazz est la plus parlante pour comprendre ce qui est à l’œuvre. On part d’un standard (le travail prescrit) et solistes (experts) comme sidemen (collaborateurs) s’adaptent l’un à l’autre, pour produire la meilleure performance.

Les compétences sont le résultat d’une courbe d’expérience

Aucun collectif ne sait bien faire dès la première fois. Il faut du temps, de la confiance, de la compréhension mutuelle et de la création d’automatismes. C’est ce que l’on appelle la courbe d’expérience. Celle-ci peut être raccourcie (cf. point suivant), mais elle n’est jamais égale à zéro. Ce qui signifie qu’il faut de la stabilité dans les équipes. Une entreprise qui remplace ses CDI par des intérimaires en fait immédiatement l’expérience. Elle flexibilise sa main d’œuvre pour le meilleur (les coûts) mais aussi le pire : perte de productivité et de qualité, augmentation des taux d’accident du travail. Car, comme il a fallu quelques mois à Kilian Mbappé pour prendre ses marques au Réal de Madrid, il faut aussi un peu de temps à tout intérimaire, pour s’adapter aux nouveaux process et à la façon de travailler de ses collègues.

La réflexivité accélère la courbe d’expérience et évite les phénomènes bureaucratiques

Peter Senge appelle cela la « pensée systémique », Chris Argyris « l’apprentissage en double boucle ». Chez C-Campus nous privilégions le terme de « réflexivité » ou d’analyse réflexive, issue des travaux de recherche en didactique professionnelle. Il s’agit de prendre du recul sur ses pratiques de travail et d’analyser ce qui fonctionne bien et moins bien afin de l’améliorer et, le cas échéant de remettre en cause ses processus, modes opératoires voire ses modèles mentaux (les petites voix intérieures qui guident nos actions). Cette pratique de mise à distance de son travail, individuel ou collectif, accélère considérablement les courbes d’expérience : en verbalisant collectivement ce que l’on fait, on comprend mieux comment s’adapter mutuellement. Et, cela permet également de réinterroger en permanence le travail tel qu’il est prescrit. Ce qui évite de tomber dans un travers bureaucratique, qui guette toujours quand on cherche à modéliser.

Politique RH-Formation : et si on changeait de stratégie ?

Les politiques RH-Formation se sont focalisées ces dernières années quasi exclusivement sur les compétences individuelles. Poussées par les pouvoirs publics et les représentants du personnel, on a formé des individus pris séparément, plutôt que de chercher à fabriquer le plus rapidement possible des compétences cœur de métier.

DRH et direction L&D ont souvent laissé le management se débrouiller dans ce domaine. Malheureusement, les managers ont bricolé, surtout dans les industries les moins normalisées. Car on n’apprend pas à fabriquer des compétences dans les écoles d’ingénieurs, de commerce, de finance, ni même de management. Dans le monde anglosaxon, on l’apprend à travers des diplômes de spécialité en OD (Organizational Development) et en France en sociologie des organisations, psychologie du travail ou en psychosociologie.

A notre humble avis, il est urgent pour les DRH, DDRH et Directions L&D de réinvestir ce champ et de venir en appui du management. Elles peuvent intervenir sur trois axes majeurs :

Créer et animer une fonction « facilitateur de développement des compétences collectives »

La mission de ce type de facilitateur est d’assister le management intermédiaire (30 à 100 personnes) sur la question de l’organisation des apprentissages en situation de travail. Ce n’est pas un job à temps plein, mais davantage une mission pour des experts qui veulent élargir leur champ d’intervention à l’animation de groupes d’analyse de pratique ou d’amélioration continue, à la mise en œuvre de mentorat ou de tutorat, de veille, etc.

Monter en compétence les managers sur les techniques d’analyse réflexive

Aujourd’hui les managers sont formés aux techniques de feed-back. Or, cette technique est en train de lasser collaborateurs et managers. De surcroît, elle est loin d’avoir fait la preuve de son efficacité.

L’inefficacité de la technique du feed-back vient de la relation de pouvoir que cette technique impose. Quoi qu’on fasse, c’est quasiment toujours un hiérarchique qui fait part de ce qu’il voit et ressent à un collaborateur, qui ne peut que s’expliquer et dans le pire des cas, se justifier.

Il faut sortir de cette relation asymétrique. Si on veut que le collaborateur s’engage, change, se transforme ou tout simplement fasse les choses dans son quotidien différemment, il faut lui laisser trouver son chemin par lui-même. C’est pourquoi, les techniques d’analyse réflexive qui ne sont qu’un questionnement neutre, mais précis et stimulant sont bien plus puissantes que le feed-back. Mais ces techniques sont inconnues des managers, il faut donc les former et les accompagner pour qu’ils les maîtrisent.

Sacraliser du temps pour faire apprendre en situation de travail

Réaliser de l’analyse réflexive, du mentorat, du co-dév, de l’action learning ou encore des speed dating de compétences (chaque collaborateur est tour à tour formé et formateur de ses collègues) nécessite du temps. Ce temps, certains managers savent l’organiser. La plupart hésite ou n’ont même pas conscience qu’il faut le faire.

Certaines entreprises ont pris le problème par le haut et ont sacralisé entre 1 à 2 heures par semaine ou tous les quinze jours, pour que leurs collaborateurs apprennent en situation de travail. Google avait montré la voie, SG et Blablacar ont emboité le pas et bien d’autres aujourd’hui ont un temps dédié pour le développement des compétences au sein des équipes. Mais attention ! Ceci ne doit être ni une mode, ni un gadget. Pour que ça fonctionne, encore faut-il que les deux idées forces précédentes soient mises en œuvre concomitamment. Sinon, le rituel de formation, devient vite une pause-café de plus !

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Marc Dennery

Marc Dennery

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