La question de l’engagement des apprenants se pose avec de plus en plus d’acuité à l’ère de la digitalisation de la formation. Dans le monde d’hier, celui du seul présentiel, l’engagement de l’apprenant était maîtrisé par le formateur. Cela n’empêchait pas certains d’entre eux de décrocher (notamment à l’heure de la sieste à 14h00 !) ou d’être moins actif (notamment quand l’intérêt pour le sujet n’était pas évident), mais généralement le formateur, toujours vigilant, détectait très tôt les signaux faibles d’un désengagement (regards ailleurs, bavardage, multi-tâches, productions attendues de moins bonne qualité) et rectifiait le tir, c’est-à-dire concrètement sa pédagogie immédiatement.
Avec la distancialisation et la digitalisation de la formation, il en est tout autrement.
- D’abord, le formateur ne voit plus forcément ses apprenants (ah ! ces problèmes de connexion qui permettent aux apprenants d’apprendre en se cachant !!!)
- Ensuite, l’apprenant doit gérer lui-même ses temps d’apprentissage dans la durée. Le service formation lui délègue la planification des moments dans la journée, la semaine voire le mois (pour les formations longues). Mais, s’il peut les planifier comme bon lui semble cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas faire face à quelques contraintes professionnelles et, aussi et surtout personnelles (Ah ! la formation en télétravail avec les enfants dans la même pièce en « télé-enseignement » !!!)
- Enfin, apprendre à distance et via des outils digitaux (cours en ligne, cours via classes virtuelles, application terrain en autonomie) nécessite davantage encore d’engagement cognitif qu’en formation présentielle. On n’est plus mobilisé de la même façon par la dynamique de groupe. On doit également apprendre à traiter de l’information et à la struturer sans aide pédagogique du formateur à côté de soi.
Attention aux solutions toutes faites !
Comme le disait Aristote « la nature a horreur du vide ». Et les solutions toutes faites n’ont pas tardé à apparaître pour résoudre ce problème du désengagement potentiel de l’apprenant.
Parmi les plus courantes, on peut citer évidemment la « gamification » : « les apprenants apprendront mieux si on les fait jouer. D’ailleurs, ça marche avec les jeux vidéo alors pourquoi ne pas l’appliquer pour la formation ? ». La démonstration séduisante ne tient pas très longtemps si on veut bien considérer qu’apprendre à appliquer une nouvelle réforme juridique ou à monter un échaffaudage n’est pas forcément de même nature que de jouer à Mario Kart. Nous y reviendrons un peu plus loin…
Dans la même veine, certains vont plus loin et nous proposent de scénariser les formations comme on scénarise une série TV sur Netflix. Désolé, mais là aussi, regarder une série TV pour se distraire quand on a fini sa journée de boulot et que les enfants viennent enfin de s’endormir, n’a pas grand-chose en commun avec l’apprentissage d’une langue ou préparer une certification de diagnostiqueur immobilier !
D’autres encore, plus technophiles, nous prédisent déjà que tout sera résolu avec l’IA. Ils en veulent pour preuve que cela fonctionne très bien pour l’achat en ligne de chaussures ou de livres. Alors pourquoi cela ne fonctionnerait pas pour apprendre à manager ou à développer son empathie pour un psychothérapeute. Eh bien, tout simplement car ce qui est en jeu dans le développement aussi complexe que les compétences du manager ou du psychothérapeute est encore une fois très différent avec l’achat impulsif en ligne. Ce n’est pas parce qu’on va nous pousser des modules de digital learning en lien avec nos centres d’intérêt au moment où on en a besoin que l’apprentissage aura lieu. L’engagement cognitif est autrement plus important dans l’apprentissage que dans l’achat en ligne. Comme nous allons le voir plus loin, nier cette différence, c’est s’exposer à des solutions toutes faites et fausses (comme on le dit aujourd’hui à des « heuristiques »).
Ce que s’engager veut dire
Pour éviter de tomber dans le travers des solutions faciles, il nous faut poser avec précision ce que signifie concrètement le terme d’engagement en formation.
L’expression est finalement assez récente dans le champ de la formation professionnelle. A l’origine synonyme d’implication ou de motivation de l’apprenant dans son apprentissage, elle se traduit aujourd’hui par des résultats de nature assez différents. Etre engagé dans sa formation, c’est, si l’on en croit ce qui s’en dit dans le monde de la formation :
- Aller au bout de sa formation. Ce sont les fameux taux de complétude de formation et d’abandon. Véritable alpha et omega des politiques publiques de formation, on les retrouve évidemment dans le référentiel Qualiopi mais également, depuis longtemps, dans les prises en charge des formations par les financeurs publics.
- Satisfaire aux exigences des évaluations de la formation. Concrètement, une personne engagée doit réussir sa certification, s’il y a une certification au bout, ou à tout le moins, atteindre les objectifs pédagogiques fixés pour que l’organisme puisse attester de sa réussite et délivre un certificat de réalisation effective de la formation.
- Maîtriser de nouvelles connaissances et compétences au terme de son parcours de formation. Ce troisième résultat de l’engagement est beaucoup plus large et change la nature même de ce que l’on peut appeler l’engagement en formation. S’engager dans ce cas, ne signifie plus simplement répondre aux exigences du système de formation (aller au bout et atteindre les objectifs fixés) mais acquérir grâce à des opérations cognitives plus ou moins complexes (attention, perception, traitement de l’information, mémorisation, récupération, conceptualisation, etc.) les connaissances qui me sont utiles pour progresser.
Une fois le résultat de l’engagement clairement défini, reste à comprendre les processus à l’origine de l’engagement. Si l’on en croit les apports des sciences cognitives dans ce domaine, trois facteurs peuvent renforcer l’engagement en formation et pour chacun d’eux nous allons pouvoir en déduire des actions concrètes à mettre en œuvre pour le développer.
La dimension conative de l’engagement
Les apprenants s’engagent parce que la formation fait sens pour eux. Pour qu’ils passent à l’action, il faut qu’ils en aient la volonté. En marketing la composante conative du comportement du consommateur désigne l’intention d’achats. En formation, l’intention d’achats c’est l’inscription, mais également tous les jours où l’on doit d’apprendre. C’est pourquoi, l’engagement en formation ne relève pas de l’achat d’impulsion, mais bien d’un engagement fort dans la durée (encore une fois ce qui fonctionne pour Amazon ou la Fnac, ne va pas forcément fonctionner pour un MOOC ou un SPOC).
Pour favoriser la dimension conative de l’engagement, on sera amené à répondre aux questions suivantes au moment de la conception du dispositif de formation :
- Quelle valeur représente la formation aux yeux des apprenants ?
- Comment peut-on renforcer l’importance de la formation aux yeux de l’apprenant : valorisation des acquis par une certification ou des badges ou tout simplement par une présentation détaillée de l’usage professionnel et personnel que pourra faire l’apprenant des connaissances acquises (d’où l’importance de la qualité de la présentation de la formation) ?
- Comment aider l’apprenant à se créer des espace-temps en formation favorables à son apprentissage ? La démarche du Nudge en formation est à utiliser pour permettre aux apprenants d’obtenir « le petit coup de coude » nécessaire pour se mettre chaque jour à apprendre : conditions de connexion et qualité du matériel, ergonomie des plateformes quand la formation passe par un outil digital, espace au calme pour éviter les perturbations d’attention, utilisation de techniques telles que le « Pomodoro » ou tous types de techniques de concentration, prise de conscience par l’apprenant de ses biorythmes d’apprentissage et planification en fonction, notification de relance du formateur ou de mentors dédiés, émulation par la communauté d’apprentissage, granularisation des séquences pédagogiques pour les rendre plus digestes…
- Comment l’amener à garder le sentiment de contrôle sur sa formation ? Tout ce que j’ai choisi a plus d’importance que tout ce que l’on m’a imposé ! Il revient donc au concepteur du dispositif de formation de laisser une liberté dans le choix du parcours de formation. Cette liberté relève de la prise d’initiative évidemment (c’est tout l’apport du DIF et aujourd’hui du CPF), mais également du choix des contenus et des pédagogies utilisées (c’est tout l’intérêt de la comodalité, c’est-à-dire du choix offert aux apprenants d’apprendre avec la modalité pédagogique qu’ils souhaitent).
La dimension affective de l’engagement
La dimension affective c’est en quelque sorte le plaisir d’apprendre. Ce plaisir vient d’abord de la tâche elle-même d’apprentissage. La ludopédagogie repose sur cette dimension mais elle n’est pas le seul moyen pour favoriser le plaisir d’apprendre. Je peux prendre du plaisir tout simplement parce que je découvre de nouvelles connaissances. Les neurosciences nous l’ont rappelé, l’adulte en formation, comme l’enfant dans la vie de tous les jours, est curieux. Tout ce qui est nouveau, inédit, surprenant déclenche chez nous l’envie d’en savoir plus. Proposons par conséquent des contenus qui suscitent cette curiosité et donnent à l’apprenant des raisons d’aller chercher plus loin (le jeu est un moyen, mais n’est pas le seul : la valeur ajoutée du contenu pour l’apprenant, la présentation didactique du contenu… en sont d’autres).
Le plaisir en formation vient également du sentiment d’appartenir à un groupe en formation, c’est la dimension sociale de tout apprentissage. Les temps de commensalité doivent être particulièrement soignés. Tout comme les espaces communautaires et d’échanges informels entre participants. Et si on reste en présentiel, n’oublions le cadre physique de la formation. Apprendre dans un endroit chaleureux et convivial, ça change beaucoup de choses dans le plaisir d’apprendre !
Si vous ne connaissez pas encore l’espace pédagogique de nos formations inter et intra, découvrez-le dans la vidéo ci-dessous :
Le plaisir d’apprendre vient encore du sentiment d’efficacité personnelle, c’est-à-dire de sa croyance en ses capacités à réussir la tâche d’apprentissage. L’échec conduit à la résignation et la réussite à la motivation. Plus je réussis, plus je prends du plaisir à apprendre, plus j’échoue, plus je vais refuser l’obstacle. Soigner la progression pédagogique afin que l’apprenant se situe dans une zone de réussite autour de 70% est probablement un bon indicateur à garder en tête pour le concepteur pédagogique. Pour cela, il faudra veiller à mettre en place un dispositif d’évaluation tout au long du parcours et pas seulement à la fin. Ces jalons d’évaluation sont souvent des dispositifs d’auto-évaluation. Donner les moyens aux apprenants de pouvoir s’auto évaluer au regard des attendus est une condition de leur engagement en formation.
Enfin, le plaisir en formation vient également de l’effort à fournir pour réussir la tâche. Si la tâche nécessite trop de travail, le découragement peut me guetter, a contrario si elle est trop facile je pourrais avoir tendance à la bâcler. Demander des efforts significatifs mais sans excès est également un objectif pour tout concepteur pédagogique.
La dimension cognitive de l’engagement
Avec cette troisième dimension de l’engagement, on entre dans un tout autre registre. Il s’agit de comprendre non plus comment l’apprenant se motive pour se former (comment il s’inscrit ou comment il se met à son « travail d’apprenant »), mais comment il produit lui-même ses connaissances et ses compétences, c’est-à-dire par quel cheminement passe-t-il pour apprendre (mémoriser, appliquer, réfléchir sur son expérience, etc.).
Cet engagement cognitif comme on l’a rappelé plus haut est bien différent de celui qu’on peut avoir face à un jeu vidéo ou de société entre amis ou une série TV. Cela exige de la part de l’apprenant de mettre en œuvre des processus cognitifs autrement plus évolués et complexes. Essayez d’apprendre le droit de la formation avachi sur votre canap’, les yeux rivés sur votre écran d’ordinateur, la main droite dans le bol de cacahouète et la main gauche une bière à la main, vous verrez c’est pas facile même si les vidéos pédagogiques sont bien faites et les quiz amusants !
On l’a compris, apprendre c’est se concentrer, faire des liens, raisonner, bref être actif. Mais quand on dit « actif », cela ne veut pas dire forcément cliquer ou répondre tel un chien de Pavlov ou un rat de Skinner à un stimulus (c’est parfois le travers de certaines plateformes dites “engageantes”), cela signifie s’engager dans un travail cognitif sophistiqué.
Ce travail cognitif, Michelene Chi, professeure à l’Université d’Etat de l’Arizona l’a modélisé en 4 niveaux et l’a désigné par le « Modèle I.C.A.P » pour Interactif, Constructif, Actif et Passif. Ce modèle doit être lu comme un continuum allant de l’engagement cognitif le plus faible (Passif) à l’engagement cognitif le plus élevé (Interactif). Plus l’apprenant s’engage d’un point de vue cognitif, meilleur est son apprentissage. Micheline Chi parle d’apprentissage profond ou « Deeper Learning » lorsque son engagement est « constructif » ou encore mieux « Interactif » et superficiel ou « shallower Learning » lorsque son engagement est « passif » ou seulement « actif ».
L’intérêt du modèle ICAP est d’avoir précisé assez finement ce que signifie ces 4 stades de l’engagement cognitif pour l’apprentissage d’un contenu.
- On parle d’engagement « passif » quand l’apprenant ne fait que recevoir de l’information sans intervenir par exemple en écoutant passivement un formateur en présentiel, en consultant une vidéo d’apprentissage ou en encore en lisant un livre sans l’annoter.
- On peut commencer à parler d’engagement « actif » quand l’apprenant écoute de façon active un formateur en présentiel ou consulte des ressources de Digital Learning ou des livres en agissant. Par exemple, lorsqu’il prend des notes, surligne et annote le document, produit des inférences, c’est-à-dire génère de nouvelles idées à partir du message qu’il reçoit.
- Avec ce troisième niveau, on entre dans le domaine de l’apprentissage profond car l’apprenant va structurer les connaissances qu’il vient de recevoir par l’intermédiaire d’un formateur ou d’un contenu d’auto formation. Son engagement est dit « constructif » car c’est lui qui construit son savoir par exemple en créant un résumé ou en faisant une carte heuristique du contenu de formation qu’il a écouté ou consulté. Ou encore, en faisant des liens entre ce qu’il vient d’apprendre et ce qu’il connaissait déjà sous la forme d’une note de synthèse.
- Enfin, on parle d’apprentissage « interactif » quand l’apprenant est lui-même capable de dialoguer à partir du contenu qu’il vient d’apprendre, par exemple en instruisant lui-même un pair (instruction croisée), en faisant une présentation argumentée et personnelle de ce qu’il a compris au groupe, en évaluant le travail d’un collègue (évaluation croisée) ou encore en discutant et critiquant, au sens scientifique du terme, le contenu qui vient de lui être proposé.
Grâce à ce modèle ICAP, on peut ré-interroger nos pratiques de conception pédagogiques en se plaçant non plus du côté du formateur (transmissif, participatif, actif ou co-actif) mais en se situant du côté de l’apprenant et du travail cognitif qu’il doit produire pour apprendre. Répondre à la question comment engager les apprenants dans leur formation revient alors à s’interroger sur les activités pédagogiques qui lui sont proposées.
Le concepteur pédagogique se demandera alors :
- Qu’est-ce que je fais pour conduire l’apprenant à prendre des notes ou annoter les contenus que je lui propose, les résumer, les relier aux connaissances et compétences qu’il maîtrise déjà ?
- Comment je peux l’amener à appliquer, tester, expérimenter ?
- Comment je lui donne la possibilité d’auto réguler ses apprentissages et de porter un regard réflexif en permanence sur ce qu’il fait, ce qu’il sait, ce qui lui reste à apprendre ?
- Comment j’utilise le groupe en formation pour développer l’apprentissage par les pairs ?