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Alternance : n’oublions pas l’équipe tutorale !

Dans une approche une nouvelle fois quantitative, le succès de l’alternance n’est plus mesuré aujourd’hui qu’à l’aune du nombre d’entrées en apprentissage, du taux d’abandon et du taux de certifiés. Depuis des années, les politiques publiques semblent être orientés sur ces indicateurs repères. Conséquence : on multiplie les aides à l’embauche d’apprentis et on déverrouille les contraintes, notamment celles concernant le passage en entreprise : un alternant peut aujourd’hui rester jusqu’à 6 mois à l’école avant de trouver ou retrouver une entreprise.

Ces politiques oublient les aspects qualitatifs et l’essence même de l’alternance.

L’alternance, c’est avant tout l’apprentissage du geste professionnel (au sens large du terme) en entreprise en interaction permanente avec l’apprentissage des connaissances théoriques et méthodologiques à l’école.

C’est dans ce va et vient incessant Ecole / Entreprise et Entreprise / Ecole que le succès de cette formation, à nulle autre pareille, se joue. C’est parce que j’acquiers des connaissances à l’école et que j’applique en entreprise, ou parce que, réciproquement, je découvre des situations problème en entreprise et que je conceptualise à l’école que j’apprends et je développe mon identité professionnelle. Car, ne l’oublions pas, un des apports distinctifs de l’apprentissage est aussi son effet socialisateur.

Et pour tirer les bénéfices des formations en apprentissage, reconnaissons que se focaliser sur l’Ecole n’est pas suffisant, même si cela reste indispensable : l’équipe tutorale en entreprise est au moins aussi importante, et à soigner tout autant.

Les quatre apports d’une équipe tutorale

Depuis le début de notre article, vous l’avez certainement remarqué, nous parlons d’équipe tutorale, et non pas de tuteur. Les mots ont un sens. Et depuis 2009 et la parution de l’excellent rapport de Bernard Masingue sur la question, nous savons que l’apprenti apprend mieux lorsqu’il trouve appui non pas sur un tuteur, mais sur une équipe tutorale solide, c’est-à-dire un management, un collectif de travail et une équipe pédagogique sur le lieu même du travail.

Et ceci, parce que l’équipe tutorale remplit, si l’on en croit la nombreuse littérature sur le sujet, au moins 4 fonctions essentielles :

Une fonction de modelage

L’équipe tutorale est un modèle pour l’apprenti dans un double sens. Un modèle, parce qu’il peut observer et copier en vue de reproduire le geste et, un modèle, en tant que repère pour savoir s’il est capable de faire. Depuis Bandura, on sait que le modelage ne traduit pas qu’une fonction de simple reproduction à l’identique du geste, mais remplit une fonction motivationnelle très forte en permettant à l’apprenant de voir dans son collègue de travail, une personne qui réussit et par conséquent de se rendre compte qu’il peut lui-même réussir, et donc s’engager dans l’action.

C’est pourquoi, réduire l’équipe tutorale à un seul et unique tuteur est une grave erreur pédagogique. L’apprenti n’a plus qu’un seul modèle à reproduire et, surtout, il ne peut pas toujours se comparer au tuteur (qui représente trop souvent un modèle inatteignable au début du tutorat). Se comparer à des collègues différents est beaucoup plus pertinent.

Une fonction d’étayage

L’étayage est le fait de créer les conditions pour qu’une personne puisse réaliser une tâche située dans sa zone proximale de développement – cf. concept pédagogique #10. Dans le cadre d’une formation en alternance, l’apprenti a besoin, surtout dans les premières semaines et premiers mois, d’un étayage conséquent pour se développer. Celui-ci ne peut pas être réalisé par une seule et même personne. Ses collègues, son manager, différents experts peuvent y contribuer au même titre que le tuteur lui-même. C’est la qualité de l’éco-système apprenant qui est mis en place autour de l’apprenti qui va faire toute la différence. Plus cet étayage est adapté, plus l’apprenti développera ses compétences de façon efficace, sans tomber ni dans l’excès, ni dans la perte d’autonomie.

Une fonction de réflexivité

Apprendre un geste professionnel nécessite une prise de recul. La didactique professionnelle nous enseigne que c’est par la réflexion sur son travail que l’apprenant parvient à « conceptualiser dans l’action ». Pour développer ses capacités réflexives, l’apprenti a besoin d’un tuteur qui va le questionner et l’amener à s’interroger sur ce qu’il compte faire, fait et a fait. Mais cela peut être fait également par des collègues ou des pairs à l’occasion de réunion d’analyse de pratique.

Une fonction de socialisation

Un apprenti n’apprend pas seulement à maîtriser un emploi, il apprend un métier, c’est-à-dire à la fois des gestes et des valeurs professionnelles, une éthique de l’exercice du métier. Dans une formation en alternance, l’entreprise doit à l’apprenti bien plus que son développement des compétences. Elle a une fonction de socialisation au métier, de développement d’une identité professionnelle en phase avec les pratiques du métier. Les figures d’identification, là aussi doivent être multiples et non pas unique. Tout faire reposer sur un seul tuteur peut conduire à l’échec. La socialisation sera d’autant plus forte et pertinente que l’apprenti pourra s’identifier à différentes sources : collègues, managers, tuteurs, référents du métier.

Trois pistes pour développer la fonction tutorale en entreprise

Si la fonction tutorale n’est donc plus à discuter en termes d’apports pour l’apprenti, reste à savoir comment faire pour la développer. Malheureusement le rapport Masingue n’a eu de reconnaissance que dans le milieu des experts de la pédagogie. Les entreprises n’ont aujourd’hui quasiment plus d’aide pour « le développement de la fonction tutorale » dans le cadre des contrats de professionnalisation. Et elles ne l’ont jamais eu pour les contrats d’apprentissage. Selon nous, trois pistes devraient être explorées pour renforcer la fonction tutorale en entreprise.

Piste n°1 : prendre en compte le tutorat dans le référentiel Qualiopi

Le tutorat ne fait pas partie des questions réellement prises en compte par le référentiel Qualiopi. L’indicateur 13 rappelle que « Pour les formations en alternance, le prestataire, en lien avec l’entreprise, anticipe avec l’apprenant les missions confiées, à court, moyen et long terme, et assure la coordination et la progressivité des apprentissages réalisés en centre de formation et en entreprise », mais on ne peut dire qu’il fixe des exigences en matière de fonction tutorale. La charge de la qualité dans une formation en alternance semble incomber au seul organisme de formation. L’entreprise qui pourtant a la charge de l’alternant a minima 50% du temps de contrat, n’est pas liée par le référentiel Qualiopi.

Si on veut que les entreprises s’impliquent dans l’alternance et se sentent responsable du développement des compétences de l’alternant, il serait bon d’amender certains indicateurs pour renforcer son rôle. Par exemple, en invitant les organismes de formation en alternance à systématiser les visites en entreprises et à former les tuteurs.

Piste n°2 : Un conditionnement des prises en charge à la formation, voire la certification des tuteurs

Pour inciter les entreprises à former et certifier les tuteurs, le plus simple serait d’étendre ce qui se fait déjà dans certaines branches professionnelles pour les contrats de professionnalisation : conditionner la prise en charge du contrat à la formation, voire la certification de tuteurs.

Un travail de fond a été réalisé par le Ministère du travail sur le référentiel de compétences « Maître d’apprentissage / tuteur » qui a donné lieu à l’établissement d’une certification de qualité en 9 compétences (cf. Référentiel MATU).

Cette certification reste encore beaucoup trop confidentielle. Probablement parce que le référentiel est très exigeant. Maîtriser les 9 compétences qui le composent relève du « Super tuteur » plutôt que du niveau d’un tuteur lambda en entreprise.

Une piste d’amélioration pourrait être d’inciter les entreprises à certifier un tuteur pour un certain nombre (à préciser) d’alternants. Ces tuteurs certifiés pourraient devenir des ambassadeurs du tutorat en entreprise. Cette approche pourrait être plus pertinente que la norme qui s’est imposée au fil du temps : à chaque alternant, un tuteur différent.

Piste n°3 : une reconnaissance de la fonction tutorale via les accords de branche et d’entreprise

Le tutorat est souvent un enjeu de fin de négociation d’accords de branche ou d’entreprise sur la formation. Il devrait être davantage valorisé lors des négociations collectives. Malheureusement, la question est généralement mal posée. Les représentants des salariés attendent une reconnaissance salariale alors que les employeurs la redoute et préfère fuir le problème en répondant par des propositions de principe sur la formation ou l’organisation du tutorat (mais rarement avec des engagements précis).

Au final, comme le papier ne refuse pas l’encre, cela correspond général à une à deux pages de bons principes dans l’accord sans que cela ne se traduise par des avancées significatives sur la mise en œuvre de démarches de tutorat concrètes.

Pour sortir de ces négociations sans conséquence, il reste à convaincre les employeurs de l’efficacité du tutorat en terme de :

  1. Fidélisation des nouveaux entrants et par conséquent de réponse aux enjeux de recrutements,
  2. Gestion de carrière pour les salariés des filières experts qui ne peuvent/souhaitent pas toujours évoluer vers le managemen,t
  3. Qualité des produits et services grâce à la moindre perte d’exploitation lors des prises de fonction.

Des études, et surtout des communications, dans ce domaine seraient les bienvenues pour faire du tutorat un enjeu managérial fort et par conséquent un objet de négociation crédible.

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Marc Dennery

Marc Dennery

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