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Marché de la formation : une concentration inéluctable

management_formation_2Il y a tout juste 3 mois, Philippe DOLE inspecteur à l’IGAS insistait dans son rapport sur la qualité en formation de la nécessité d’amener le marché de la formation à se concentrer. Voeux pieux ou simple analyse de bon sens ? Nous penchons, sans aucun doute pour la deuxième hypothèse. La concentration est inéluctable et elle ne sera pas sans effet sur tous les acteurs de la formation.

Les 3 raisons qui conduisent à une concentration

Deux raisons sont la conséquence de la réforme de 2014. La troisième trouve son origine de façon plus lointaine dans l’évolution des pratiques de formation et va être amplifiée suite à la loi du 5 mars 2014.

Du marché de la formation au marché de la certification

C’est le grand changement de la réforme de 2014, 1% de la masse salariale des entreprises va être orienté vers les formations qualifiantes ou certifiantes, soit plus d’un tiers de l’effort de formation. On va passer brutalement, en moins d’un an, d’un marché de la formation ou la simple attestation de présence ouvrait les portes de l’éligibilité aux fonds de la formation à un marché de la certification. Pour être pris en charge par un OPCA, il faudra faire la preuve que la formation permet d’aboutir à une certification.

Les gros organismes certificateurs s’en pourlèchent déjà les babines ! Ils vont pouvoir écarter d’un revers de main tous ces petits organismes qui les empêchaient de former en rond. Alors que le marché attendait du “sur-mesure”, de la “réactivité”, du “court et dense”… demain, il exigera du certifiant : du titre, du diplôme, du CQP… et tant pis si c’est long, pas toujours indispensable, en un mot pas toujours adapté aux besoins en compétences.

Vers un marché encadré

Jusqu’à présent le marché était plus ou moins régulé paritairement. Bon an, mal an : 6 à 7 Milliards d’euros transitaient via les fonds paritaires, mais les OPCA ou OPACIF n’avait pas un vrai droit de regard sur la qualité pédagogique des formations. Avec le décret sur la qualité, tout va changer. Pour exercer le métier de la formation, l’organisme devra être certifié (OPQF, ISO 9000, NF formation… on attend la liste avec impatience) ou respecter les règles de l’OPCA ou l’OPACIF financeur.

L’accès au marché de la formation va devenir quasiment réglementé. Le “ticket d’entrée”, comme on dit en marketing, va considérablement augmenter.

D’un marché artisanal à un marché industriel

Longtemps, faire de la formation nécessitait beaucoup d’expertise, un peu de pédagogie et… très peu de moyens. Sur le marché de la formation en entreprise, même les locaux ne sont pas indispensables. Bref, la formation était un métier d’artisans, amoureux de leur métier qui se transmettaient le savoir-faire entre pairs.

Mais ça, c’était avant quand former signifiait animer un stage. Avec l’arrivée du digital learning, tout est en train de changer. Pour être un opérateur crédible, il faut non seulement avoir d’excellents formateurs mais également des solutions digitales : E-Positionnement, plateforme de E-learning ou M-Learning, E-Accompagnement via classe virtuelles ou E-tutorat, E-évaluation…. Les investissements techno-pédagogiques ne sont plus anodins. Il faut des équipes informatiques mais surtout des experts du contenu capables de le formaliser. La taille devient un enjeu majeur pour faire face à ce nouveau défi.

Or le marché est extrêmement éclaté. On compte entre 60 000 et 80 000 organismes de formation selon les critères pris en compte. Selon une enquête de la FFP, le CA médian des organismes de formation de la branche tourne autour de 1 Million d’euros seulement. Et encore, cela ne compte pas tous les consultants indépendants. Pour faire des économies d’échelle et faire face aux investissements importants à venir, la concentration est inévitable.

La concentration et après…

Lutter contre la concentration à pas forcé du marché de la formation n’a déjà plus beaucoup de sens. Plus important est de s’interroger sur les effets de cette concentration et comment faire pour éviter ses excès.

Financeurs : attention au retour de bâtons !

OPCA et OPACIF seront les premiers bénéficiaires de cette concentration. Ils vont pouvoir bâtir des offres mutualisées à moindre coût, réduire leurs coûts de gestion (moins de partenaires = simplification du traitement), optimiser la chaîne de valeur (simplifier les appels d’offre, exiger des prestations de services de gestion, d’évaluation, de suivi en complément de la formation… – ceci ne pourrait pas être réalisé par des petits organismes…).

Ce qui s’est passé dans la distribution agroalimentaire pourrait se passer dans la formation. Les donneurs d’ordre dans un premier temps vont pousser à la concentration, mais dans un deuxième temps il seront pris à leurs propres pièges. Les grands mettront en avant leurs  marques leaders et leur imposeront probablement leurs exigences. Les Danone, Coca Cola ou Evian de la formation ne sont pas encore nés, mais les financeurs souffriront très vite de l’assèchement du marché.

Entreprises : fini le libre choix…

Les entreprises, surtout les grandes, sont à peu près sur le même terrain de jeu que les financeurs. A priori, travailler avec des gros organismes de formation est plus simple pour elles qu’avec des petits. Reste que demain, pour environ un tiers de leur budget, ce n’est plus elles qui choisiront mais leur OPCA. Cela risque de leur faire drôle. Et elles perdront probablement en agilité et en qualité.

Organisme de formation : enfin de vrais entreprises !!!

Hormis les organismes gravitant autour de la sphère publique (AFPA, Greta, CNAM, Services formation des Universités…), les opérateurs de formation sont des entreprises atypiques. Plus proches du cabinet médical que de la multinationale industrielle ! Avec la concentration, les organismes de formation vont devoir se mettre au management, au marketing, à la qualité, à la gestion… Les actionnaires des petites structures ne seront pas forcément perdants (le ticket d’entrée s’élévant, la valeur augmentera). Encore faudra t-il se trouver sur des créneaux porteurs et détenir des compétences distinctives : capacités de certifier, agréments qualité, catalogue d’E-learning…

En même temps, la tendance à la baisse des prix et l’augmentation concomitante des coûts de revient (se faire agréer, investir dans le digital ou le dépôt d’un titre ont des coûts non négligeables) risque d’avoir un effet de ciseaux relativement difficile pour ces mêmes actionnaires.

Consultants indépendants : monter en gamme ou perdre son âme

Les consultants indépendants seront probablement les acteurs les plus mis en danger par la réforme. Moins nombreux que les chauffeurs de Taxi (entre 15000 et 20000 formateurs contre 55000 chauffeurs), on risque de beaucoup moins les entendre. Pourtant leurs conditions d’exercice déjà difficiles ne vont certainement pas s’améliorer.

Pour eux, l’alternative est simple : soit monter en gamme, soit devenir sous-traitant. La sous-traitance auprès de grands organismes ne sera probablement pas la solution. Prix tirés vers le bas par les donneurs d’ordre, que restera t-il aux formateurs ? Aujourd’hui le chiffre d’affaires moyen est de 48.000 euros. Qu’en sera t-il demain ?

La montée en gamme va nécessiter des efforts considérables de formation et de marketing. Ils seront contraints d’investir dans la mise à jour permanente de leur expertise et dans le marketing de soi, difficilement compatibles avec une production intensive due à la baisse des prix. Beaucoup choisiront probablement d’abandonner ce qui faisait le charme de leur métier et aussi leurs valeurs : l’indépendance, la liberté, la confraternité et la prise de risque.

Apprenants : “le Mc Do, c’est plus sûr, mais ça a toujours le même goût !”

Ne vous inquiétez pas, on ne l’avait pas oublié. C’est au nom de l’apprenant que Législateurs, paritaires et administrateurs ont souhaité une concentration du marché de la formation. C’est vrai qu’aujourd’hui, il est difficile pour un salarié de se retrouver face au marché éclaté de la formation. Il manque des repères, des enseignes bien connues. Or, à l’ère du CPF, le salarié se retrouve un peu démuni dans sa recherche de formation. Il n’a(ura) plus le responsable de formation pour le guider. Au mieux, il a(ura) son conseiller CEP.

Alors, oui la concentration du marché sera une bonne chose pour l’apprenant. Il saura mieux ce qu’il achète, aura plus de garanties. Mais malheureusement, il aura toujours à peu près la chose. Les grandes surfaces ont beaucoup davantage, mais les petits commerçants de quartier ont beaucoup plus de charme. C’est peut-être plus cher, un peu moins sûr, il faut bien connaître, mais au final, c’est souvent beaucoup mieux. On en peut pas tout avoir !

 

Marc Dennery

Marc Dennery

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