Des objectifs pédagogiques bien formulés sont un mantra pour les ingénieurs pédagogiques et les formateurs. Règle des 3 C, taxonomie de Bloom ou de Krathwohl circulent en permanence sur les réseaux sociaux et terrorisent les apprentis formateurs qui débutent dans la conception et l’animation de formation.
Certes, définir des objectifs pédagogiques est loin d’être sans intérêt et dans certains cas, même fort utile. Il n’empêche qu’avec l’évolution des modalités de formation, on a intérêt à se concentrer davantage sur les objectifs d’apprentissages. La différence n’est pas qu’une question sémantique, c’est d’une certaine manière, un changement de perspective pour les ingénieurs pédagogiques et formateurs.
Petit rappel sur les objectifs pédagogiques et quelques dérives
La notion d’objectif pédagogique n’a rien de nouveau. Elle date du courant de la “Pédagogie Par Objectifs” dite PPO introduite au milieu des années 1930. Des auteurs comme Bloom, Mager, Hameline ont contribué fortement à sa diffusion de façon aussi bien internationale que nationale : de la formation continue à l’éducation nationale, tous les secteurs ou presque de l’éducation/formation y sont passés en France.
Si vous n’êtes pas encore un expert de l’élaboration d’objectifs pédagogiques, découvrez cette article qui vous expliquera comment faire ou mieux inscrivez-vous à l’une de nos formation de formateurs – cliquez ici.
L’idée de base est que l’on peut rationaliser l’enseignement si on le concentre sur des objectifs clairs, précis, opérationnels que les apprenants doivent atteindre aux différentes étapes de leur progression pédagogique. Avec des objectifs bien rédigés, on peut plus facilement mesurer les progrès et les résultats de la formation. On peut également mieux guider le parcours des apprenants tout au long de la formation.
Cette idée simple et pragmatique est pour beaucoup dans le succès de la notion d’objectif pédagogique. Et comme souvent quand une notion s’impose, elle devient un “allant de soi” qui n’est plus discuté. D’où certaines dérives…
Des listes à la Prévert d’objectifs pédagogiques
Un des risques courant est de couper les cheveux en quatre ! Concernant les objectifs pédagogiques, cela revient à décliner les objectifs pédagogiques généraux, en sous-objectifs pédagogiques spécifiques et parfois même en sous-sous objectifs pédagogiques “très spécifiques”. Pour une formation d’une journée, on peut avoir jusqu’à une douzaine d’objectifs quand on tombe dans ce piège ! On cherche à tout découper et tout contrôler et on en perd l’essence même d’un apprentissage qui survient quand on s’y attend le moins (cf. à ce sujet notre article sur le moment Eurêka en formation).
Des objectifs pédagogiques, quel que soit le contenu et le contexte de formation
L’autre dérive est de vouloir appliquer la pédagogie par objectif quels que soient le contenu et le contexte de formation. On cherche ainsi des objectifs pédagogiques pour des soft skills ou des compétences complexes, qui se prêtent mal à une rédaction rigoureuse selon les canons des 3C ou de la taxonomie de bloom. Cela ne signifie pas que ce n’est pas possible d’un point de vue méthodologique (c’est toujours possible de trouver des comportements observables), mais reconnaissons que cela reste peu pertinent et a tendance à réduire la complexité d’une compétence à la maîtrise de techniques, qui seules sont observables.
Prenons l’exemple du développement des capacités d’assertivité en communication. On peut définir l’objectif pédagogique par : “à la fin de la formation l’apprenant sera capable d’appliquer les techniques d’assertivité face à un comportement agressif“. D’un point de vue de la pédagogie par objectif, on pourra être satisfait d’une telle rédaction. On pourrait affiner, mais ne cherchons pas la petite bête ! Le vrai problème est ailleurs : avec une telle rédaction ne réduit-on pas l’assertivité, compétence ô combien complexe, à de simples techniques ? Comment traduit-on les capacités de jugement dans l’action, les attitudes et la “gestique” en situation ? On peut s’interroger alors sur l’intérêt de se triturer la tête pour rédiger des objectifs pédagogiques pour ce type de formation.
Des heures perdues dans la rédaction très soignée d’objectifs pédagogiques
La troisième dérive est justement de passer trop de temps sur la rédaction des objectifs pédagogiques. Cela se fait souvent au détriment de l’analyse des profils des apprenants et de la recherche d’activités pédagogiques réellement actives et interactives (voir à ce sujet notre jeu de cartes La pédagothèque 1). Certains formateurs débutants ou d’autres maniaques de la PPO ont tendance effectivement à perdre leur temps dans cette quête d’objectifs pédagogiques précis et observables. Ils oublient que les objectifs pédagogiques ne sont qu’une direction, un guide à grosse maille pour aider les apprenants à bâtir leurs propres parcours d’apprentissage personnalisés.
Vers un changement de perspective
Si la finalité d’une formation est bien la mise en oeuvre de parcours d’apprentissage personnalisés, l’important n’est plus l’objectif pédagogique mais bien l’objectif d’apprentissage. Par objectif d’apprentissage, nous entendons les objectifs que se fixe l’apprenant lui-même pour son parcours de formation, avec l’aide de son formateur, et qu’il contractualise avec lui via un contrat pédagogique.
L’objectif d’apprentissage part donc de l’apprenant, tandis que l’objectif pédagogique part malheureusement trop souvent du formateur. Certes, la sacro sainte formule de rédaction des objectifs pédagogiques “à la fin de la formation l’apprenant sera capable de…” devrait nous prémunir du risque d’objectifs “formateur-centrés”, mais dans les faits, ce n’est pas suffisant. Trop souvent cette formule est un exercice de style et beaucoup de formateurs fixent les objectifs pédagogiques en partant de leur propre vision de ce qui est bon pour l’apprenant. Et non pas en partant de ce que l’apprenant attend concrètement.
Passer des objectifs pédagogiques aux objectifs d’apprentissage, c’est donc un changement de perspective. C’est garantir la prise en compte des besoins individuels de chaque apprenant. Mais ce n’est pas le seul intérêt ! Son utilité majeure est d’amener l’apprenant à s’interroger sur ce qu’il cherche dans sa formation. C’est le premier pas vers l’expression de ses propres besoins en formation. Et probablement une des meilleures réponses pour, comme on adore le dire aujourd’hui, l’amener à s’engager dans sa formation. Se centrer sur les objectifs d’apprentissage, c’est donc aussi et surtout une affaire de motivation en formation !
Certains ingénieurs pédagogiques chevronnés nous rétorqueront à la fois qu’ils élaborent les objectifs pédagogiques de leur formation en partant de l’analyse approfondie des besoins et que par ailleurs, les apprenants n’ayant pas un niveau d’expertise suffisant dans le domaine dans lequel “ils vont être formés”, ils ne peuvent pas deviner leurs objectifs d’apprentissage. A la première objection, on leur répondra qu’heureusement ils font une analyse approfondie des attentes mais que des objectifs pédagogiques resteront toujours des objectifs “moyens” pour un groupe en formation. Or ce qui est enjeu aujourd’hui, c’est la personnalisation. Il ne s’agit plus de former des apprenant-moyens à l’ère du digital learning et de l’IA mais de donner à chaque apprenant les moyens de développer ses propres talents qui sont toujours singuliers. Concernant la deuxième objection, on précisera qu’un bon formateur est avant tout un facilitateur d’apprentissage et que sa première fonction est d’accompagner l’apprenant dans l’élaboration de ses objectifs d’apprentissage. Et pour cela, il y a quelques techniques bien rodées qu’on vous présente ci-dessous…
Quelques techniques pour aider les apprenants à définir leurs objectifs d’apprentissage
Sans présenter dans le détail toutes les techniques permettant d’aider les apprenants à élaborer leurs objectifs d’apprentissage (nous vous invitons pour cela à suivre nos formations – cliquez ici ou là), voici les principales :
- Le questionnaire d’analyse des attentes : adresser un questionnaire d’analyse des attentes à chacun des participants pour les amener à réfléchir sur leurs attentes à tête reposée et exprimer ce qu’ils comptent faire concrètement de ce qu’ils auront appris après la formation. Et ainsi de traduire leurs attentes en objectifs concrets d’apprentissage. Ce type de questionnaire était hier très difficile à gérer. Aujourd’hui, grâce à l’IA générative, il est possible de l’automatiser.
Si vous êtes intéressé par les apports de l’IA en formation et que vous souhaitez devenir un formateur augmenté par l’IA, n’hésitez pas à vous inscrire à notre nouvelle formation – cliquez ici pour en savoir plus sur le programme ou contactez-nous : formation@c-campus.fr.
- Le kick-off formation : organiser une réunion, 15 jours ou 3 semaines avant le début de la formation, pour présenter la formation, ses thèmes et ses objectifs généraux et inviter les participants à les traduire en objectifs d’apprentissage concrets, précis et personnels.
- Le tour de table approfondi : procéder de la même façon que pour la réunion Kick-off mais lors du lancement de la formation. C’est moins efficace que le kick-off formation, mais plus simple à organiser. Attention ! il ne s’agit pas de leur poser la sempiternelle question : “quelles sont vos attentes pour la formation ?” mais de les faire travailler sur ce qu’ils comptent appliquer en situation professionnelle après leur formation (voir à ce sujet nos articles sur l’art du questionnement en formation – cliquez ici et là).
- L’entretien de positionnement : réaliser ou faire réaliser par le manager un entretien d’évaluation des pré-acquis en entrée de formation qui débouche sur la définition d’un plan de développement des compétences individualisé. Ce plan intègre les différents objectifs d’apprentissage que se fixe l’apprenant.
- Le bilan intermédiaire : lors d’un parcours long, inviter l’apprenant à faire le bilan de sa formation et à se redéfinir ses objectifs d’apprentissage en cours de formation.
En conclusion, combiner le meilleur des deux mondes
Quand nous conseillons de passer des objectifs pédagogiques aux objectifs d’apprentissage, cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus élaborer des objectifs pédagogiques et seulement demander aux apprenants de se fixer des objectifs d’apprentissage. Décliner les objectifs opérationnels en objectifs pédagogiques reste un travail nécessaire pour bâtir des trames de parcours. Notre conseil est simplement de ne pas passer trop de temps sur l’élaboration des objectifs pédagogiques et de prendre bien soin d’amener les apprenants à identifier leurs propres objectifs d’apprentissage et à les contractualiser avec leur formateur ou formatrice. Vos formations seront ainsi plus engageantes parce qu’elles répondront au besoin spécifique de chaque apprenant.