Le blog de C-Campus

Marc Poncin : « Pour une formation 4.0 différenciée »

Marc Poncin est directeur Formation continue & apprentissage chez Icademie. Il vient de publier « Du présentiel au E-Learning efficient » chez Dunod. Nous avons découvert son livre en fin d’année dernière, lors du comité scientifique de C-Campus auquel Marc Poncin contribue en tant que membre permanent. Son livre est à mettre entre toutes les mains. Très pratique, il permettra à tous ceux qui sont en train de passer au E-Learning ou qui y sont déjà passés et veulent réinterroger leurs pratiques de dépasser les seuls aspects techniques et réglementaires pour approfondir les questions essentielles d’innovation pédagogique. C’est ce dernier point que nous avons souhaité creuser avec Marc Poncin dans son interview.

Marc Poncin, vous annoncez l’avènement d’une formation 4.0 dans votre livre, pouvez-vous la définir pour les lecteurs du blog de C-Campus ?

La formation 4.0 est le modèle de formation que nous voyons poindre aujourd’hui dans les pratiques les plus innovantes dans le domaine de la formation professionnelle d’adulte.

Il est en train de se passer dans la formation, ce qui s’est passé et se passe dans le web, l’industrie et le management. Dans ces univers, on se retrouve également dans un monde 4.0. On parle d’ailleurs de web 4.0, d’industrie 4.0 et de management 4.0.

Les piliers du 4.0 sont les mêmes dans tous ces univers :

  • Une forte personnalisation : c’est la voiture qui vous ressemble et non plus la Ford T noire pour tous !
  • … Qui va de pair avec un collectif important : internaute collaboratif sur les forums, collaborateurs au cœur de dynamiques d’équipe de plus en plus fortes dans le domaine du management, etc.
  • … et qui repose sur de plus en plus d’innovations technologiques. Mais ces dernières ne sont plus pensées comme premières mais secondaires. Elles ne sont plus la fin en soi de l’innovation, mais le moyen pour inventer de nouveaux usages.

Ces trois piliers du 4.0, nous allons les retrouver dans la formation. La formation 4.0, c’est une formation de plus en plus personnalisée reposant sur de plus en plus de technologie (e-learning, distancialisation, plateformes…) mais cette dernière reste un moyen et non plus une finalité, car la formation 4.0, c’est aussi beaucoup de collectif. C’est en quelque sorte une ré-humanisation des pratiques de formation à distance.

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Qu’entendez-vous par ré-humanisation de la formation ?

Si on parle aujourd’hui de 4.0, c’est qu’on est passé par des phases précédentes. Il y a eu d’abord la formation 1.0, celle du cours magistral. Elle était « humaine » au sens où un formateur s’adressait à un groupe d’apprenants face à lui, mais elle restait peu interactive. C’est pourquoi, nous sommes passés ensuite, disons dès les années 1970, mais surtout dans les années 1980/1990, dans une formation 2.0 beaucoup plus interactive. On a introduit des techniques participatives et collaboratives dans les salles de formation. Cette approche 2.0 a encore cours aujourd’hui et elle s’est même digitalisée à travers des outils comme Klaxoon, Kahoot ou wooclap.

Puis est venue la vague des MOOCs et de la formation à distance à travers la crise sanitaire de 2020 et sa « Zoomification » des formations. Cette formation peut être qualifiée de 3.0. Elle repose sur une orientation techniciste de la formation. Elle se fonde sur le mythe de l’apprentissage en totale autonomie. Il suffirait de mettre à disposition des ressources pédagogiques (micro-learning, tutoriels ou webinaires live ou en « replay ») pour que les apprenants apprennent naturellement.

La réalité est bien différente. L’ATAWADAC a ses limites. La solitude de l’apprenant est un vrai problème qu’il faut prendre en compte. Tout apprentissage est collaboratif. Il est essentiel de ré-introduire de l’humain, de la relation, de l’accompagnement dans l’apprentissage. C’est ce qui change, mais pas seulement, dans le passage de la formation 3.0 à la formation 4.0.

Vous venez de dire « l’humain, mais pas seulement » qu’il y a t-il d’autre ?

La formation 4.0 est une pédagogie différenciée qui s’appuie sur les principes de la pédagogie de maîtrise de Benjamin Bloom. La pédagogie différenciée part du constat que tout groupe d’apprenants est hétérogène et que chacun apprend à son rythme en fonction de son profil. Les progrès dans un groupe sont toujours à des temps différents.

La pédagogie de maîtrise, quant à elle, part du postulat selon lequel tout apprenant peut arriver à une maîtrise quasi-totale du sujet si on lui en donne le temps et si on utilise les moyens adéquats. Ces moyens sont des ressources adaptées, une évaluation formative riche et une remédiation des apprentissages régulière.

Avec le développement du e-learning et la distancialisation, plus que jamais les apprenants apprennent à leur rythme et plus que jamais ils attendent des parcours sur-mesure. Mais le sur-mesure ne veut pas dire « apprendre seul » si on retient les principes de la pédagogie de maîtrise, cela veut dire apprendre avec une remédiation et un tutorat fort.

Qu’est-ce qui change concrètement avec ce nouveau modèle de formation 4.0 pour les écoles et CFA ?

Les principaux enjeux pour les opérateurs de formation résident dans

  • la combinaison des pédagogies (présentiel, distanciel mais aussi AFEST),
  • l’utilisation pertinente des techno-pédagogies pour mettre à disposition des ressources variées etde qualité,
  • la mise en place d’un double tutorat
  • et l’intégration de la question de l’efficience du parcours dès l’amont de la conception.

Qu’est-ce que vous entendez par double tutorat ?

Le double tutorat, c’est à la fois un tutorat disciplinaire et un tutorat technico-pédagogique. Dans la formation 1.0 ou 2.0 c’est le formateur qui jouait le rôle de tutorat disciplinaire. C’est lui qui aidait les apprenants à comprendre ce qu’ils n’avaient pas compris. Il posait des questions, faisait faire des exercices, des études de cas et en fonction des résultats, il pouvait réagir en faisant des compléments d’apports, en ré-expliquant certaines notions.

Avec la formation 3.0, ce tutorat disciplinaire a quasiment disparu et le tutorat technico-pédagogique n’était souvent que de façade. La réglementation en matière de E-Learning exige que l’apprenant puisse bénéficier d’une assistance technique et d’une assistance pédagogique (régulation de son engagement dans son apprentissage), mais dans les faits cela se limite trop souvent à un nom, un prénom et un numéro de téléphone ou un e-mail sur un protocole individuel de formation.

La formation 4.0, qui comme nous l’avons vu remet l’humain au cœur du dispositif pédagogique, nécessite à la fois un tutorat disciplinaireet un accompagnementde facilitation des apprentissages. Le tutorat disciplinairepeut être exercé sous la forme de séquence d’échange à distance entre le formateur  et les apprenants ou élèves (seuls ou en petit groupe).

La facilitation des apprentissages (tutorat technico-pédagogique) correspond également à des séquences d’échange à distance, mais cette fois-ci avec un référent pédagogique qui va interroger l’apprenant sur son vécu d’apprentissage. Comment organise-t-il son apprentissage ? Quel est son niveau de confiance au regard des objectifs de certification ? Comment s’en sort-il avec les outils digitaux à sa disposition ?

Echanger régulièrement (tous les mois a minima) et amener l’apprenant à trouver des solutions pratico-pratiques sur comment mieux apprendre est une condition incontournable de réussite.

Quels conseils donneriez-vous aux écoles et CFA qui ne se sont pas encore lancés dans la formation 4.0 ? Par quoi doivent-elles démarrer ?

Mon premier conseil serait de partir des objectifs et de la finalité de la formation ou des formations à déployeret non pas de se fixer sur un modèle a priori de passage au digital learning. La stratégie de déploiement ne peut venir qu’après une bonne appréhension de ce que l’on veut faire sur son marché, avec ce que l’on est et l’histoire que l’on a d’un point de vue pédagogique et, surtout, des domaines de formation et des profils d’apprenants que l’on rencontre.

Ensuite, il est important de faire avec et non pas contre les équipes de formateurs. C’est eux qui feront l’accompagnement, qui resteront au contact des apprenants. Digitaliser des ressources pédagogiques en mettant de côté les formateurs est une erreur stratégique. Cela ne produit pas de bons produits pédagogiques et cela pose des problèmes très difficiles lors des déploiements.  Entre ce qui est dit dans les modules digitalisés et ce que les formateurs/facilitateurs préconisent dans leur accompagnement, c’est alors le grand écart. Et le réduire est quasi impossible.

Enfin troisième conseil, il faut y aller progressivement. Il ne s’agit pas de produire des centaines de ressources pédagogiques. Il faut le faire avec ses moyens et en digitalisant progressivement. On peut d’abord déployer des classes virtuelles et réaliser quelques premiers modules, puis aller plus loin en digitalisant des positionnements, des évaluations formatives et sommatives et ensuite renforcer progressivement le tutorat. Rome ne s’est pas faite en un jour, le passage au E-learning d’un organisme de formation ou d’une fonction formation d’une entreprise, non plus !

Et si on se projette, y aura-t-il après-demain une formation 5.0 et à quoi ressemblera-t-elle ?

Franchement, je n’en ai aucune idée ! Faisons déjà bien de la formation 4.0. On verra après. La formation 4.0 que je présente dans mon livre n’est pas encore pratique courante chez les opérateurs de formation. On reste encore sur du 3.0 quand ce n’est pas du 2.0.

Après, on voit poindre de nouvelles innovations technologiques. On nous parle beaucoup de la VR et de l’IA. Il s’agira peut-être demain pour la formation de nouvelles façons d’organiser l’acte d’apprentissage. Pour l’instant, on n’a pas encore vu grand-chose d’extraordinaire dans ces domaines. Il y a plus d’effets d’annonce que de réalités concrètes et abordables (d’un point de vue investissement financier et temps/Homme). Et puis, je reste un peu sceptique sur ces nouvelles technologies. Au moment où prend conscience qu’il faut ré-humaniser la formation, faut-il intégrer des technologies froides comme l’IA et la VR. C’est à réfléchir !

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Marc Dennery

Marc Dennery

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