David Graeber, un anthropologue américain a publié en 2018 un best-seller sur les bullshit-jobs. L’expression est devenue célèbre. Aujourd’hui, nous allons transposer cette idée à la formation en vous parlant des “formations bullshit” et autres recettes magiques basées sur des neuro-mythes ou même des pseudo-sciences. On aborde aussi les facteurs de l’explosion des formations bidons, qui ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Enfin, on vous donne 12 conseils pratiques pour “débusquer” les mauvaises formations !
Dans un marché de formation assez peu régulé et surtout “désintermédié”, les particuliers et les entreprises peuvent céder aux sirènes des « formations miracles », phénomène largement amplifié par les “plateformes” & réseaux sociaux.
Marché peu régulé = portes ouvertes aux formations “bullshit” ?
Le secteur de la formation est assez peu régulé en France, quoi qu’en disent certains ! Il est essentiellement administré et contrôlé, notamment au niveau des circuits de financement et de l’usage des fonds publics. La qualité intrinsèque des formations, ce sont plutôt les clients, professionnels et bénéficiaires qui s’en préoccupent, mais pas toujours !
Sur le marché de la conformité / financé par fonds publics
QUALIOPI ne garantit pas la qualité : L’auditeur vérifie que l’organisme de formation respecte le référentiel national dans ses processus internes. La certification valide donc que l’OF suit bien des procédures, pas que ses formations sont “de qualité” !
Quant aux contrôles exercés par la Caisse des Dépôts, (les DREETS ou France Compétences), ils servent surtout, et cela est légitime, à traquer les fraudes et pratiques mensongères.
Si vous faites appel à un prestataire de formation, assurez-vous par exemple que l’intervenant possède une bonne expérience ou expertise de fond, a suivi une formation de formateurs ou détient une certification de formateur ! La pédagogie ne s’invente pas ! Un jour il faudra aussi valoriser un vrai label “qualité” pour les formateurs, décerné par un jury de pairs, ça fonctionne très bien pour les MOF – Meilleurs Ouvriers de France…
Sur le marché libre de la formation
Pour les formations achetées par les entreprises ou les particuliers, il n’y a pas vraiment de barrières à l’entrée. Aucun diplôme n’est exigé, seulement une déclaration d’activité et un numéro de déclaration d’activité (NDA), et tous les ans un bilan pédagogique et financier (BPF). Et on peut toujours habiller ses formations en “conseil” ou “coaching”, donc passer sous les radars. Les “formateurs internes” échappent très majoritairement à ces obligations !
Il ne s’agit pas de créer des autorités supplémentaires d’administration et de contrôle (en France, on est déjà bien servis !). C’est aux acheteurs, entreprises et bénéficiaires de rester vigilants sur la qualité réelle (fond, expertise et pédagogie) des formations. Voir plus bas nos 12 conseils. Aidons aussi les apprenants à faire des choix de formation éclairés et pas juste avec une appli trip-advisor de la formation !
Moins d’intermédiation = un apprenant seul face à l’offre…
La formation depuis 2018 s’est “désintermédiée”. Recréer des “médiations” pour orienter le salarié-apprenant-consommateur (et les entreprises) dans une offre foisonnante et illisible devient urgent :
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le CPF initialement valorisé en heures, l’est depuis 2019 en euros. Cela confère un pouvoir d’achat direct aux individus. Mais cela laisse aussi l’individu seul dans ses choix de formation,
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l’application CPF crée une mise en relation directe mais sans diagnostic préalable, filtre ou prescription pédagogique,
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les organismes d’intermédiations (par exemple les OPCA devenus OPCO) ont aussi perdu une partie de leur rôle de prescripteurs. Dans la recherche d’économies budgétaires, ils sont en plus “challengés” (confer le dernier rapport IGAS). Il serait dommage que cela se traduise par une baisse de la capacité de conseil et d’accompagnement par ces opérateurs. Du côté des entreprises, le message reçu de l’État est : “avec le CPF, vos salariés sont autonomes !” Or, on sait très bien que le “salarié – apprenant autonome” est un mythe complet !
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l’offre de formation, notamment “on line” s’est massifiée sans régulation qualitative. La manne CPF et le “quoi qu’il en coûte” ont même suscité des vocations d’escrocs, parfois basés à l’étranger (rappelant les escroqueries à la taxe carbone de 2008-2009). On a dû en catastrophe créer des garde-fous en 2022 !
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l’apprenant est devenu un consommateur plus qu’un bénéficiaire réellement accompagné. Sauf que la formation, ce n’est pas comme un voyage à l’étranger. Former, c’est aider la personne à se transformer par ses connaissances, compétences et savoir-être, pas la “balader dans une expérience plus ou moins plaisante” !
L’apprenant se retrouve donc à devoir chercher, comparer, choisir sa formation, sans en avoir toujours les capacités. Il peut donc céder facilement aux promesses marketing !
Si l’on veut vraiment aider les apprenants à s’orienter dans la formation professionnelle, il existe de bons outils : le conseil en évolution professionnelle, l’accompagnement VAE (dossier de recevabilité), le bilan de compétences, l’AFEST même (qui permet de tester une appétence à apprendre un nouveau métier). Les entreprises peuvent se servir de l’entretien professionnel, pour récréer une médiation ou encore proposer les nouveaux dispositifs, CPF co-construit et période de reconversion, à leurs salariés-apprenants !
La nature a horreur du vide : plateformes & réseaux sociaux prennent la place !
Du fait de la faible régulation du marché et de la désintermédiation, les réseaux sociaux et autres plateformes comme Youtube, deviennent des places de marché ! Le hic est la nature même des réseaux sociaux, qui posent quelques soucis !
Les biais des réseaux sociaux
Les réseaux sociaux et plateformes de “contenus” favorisent, on le sait :
- Le court, le percutant, l’instantané, le sensationnel, l’émotionnel, le FAC (facile à comprendre), l’imagé, le storry-telling. Leurs algorithmes poussent les contenus “d’apparence et d’apparat”,
- L’addiction : les réseaux sociaux multiplient les sollicitations et notifications, de sorte à créer un public captif, dont on récupère (et revend) le maximum de données et de “temps de cerveau disponible”,
- les histoires de “transformation spectaculaire” qui y pullulent. Du style “j’étais au fond du trou dans mon rôle de manager, maintenant grâce à la méthode magique des couleurs” (suivez mon regard…) je suis aligné et je sais comment gérer les différentes personnalités de mon équipe” (comme si un manager “gérait des personnalités” !)
Tout ça, c’est exactement l’inverse d’une démarche sérieuse de développement ou de formation : lente, progressive, nuancée, réflexive, introspective et singulière. On vous en avait déjà parlé dans cet article sur le grand malentendu des formations aux soft-skills
Les experts en sciences de l’éducation et en efficacité pédagogique alertent sur les dangers de la simplification de la formation et de l’apprentissage : la formation n’est pas un “produit rapide”, avec une efficacité garantie, apprendre, c’est un parcours individuel impliquant !
Un bon formateur, c’est aussi quelqu’un qui a de bons outils pédagogiques. C-Campus propose aux formateurs et formatrices 5 jeux de cartes avec de nombreuses techniques éprouvées, dont La Pédagothèque 1 comprenant 33 techniques actives et interactives pour améliorer vos formations et les rendre plus engageantes. Découvrez notre gamme de jeux de cartes et contactez-nous pour les commander : edition@c-campus.fr.
L’exemple du “coaching” et des formations de “développement personnel”
Dérégulation, désintermédiation, réseaux sociaux créent des effets de bord négatifs et du bullshit ! Nous allons disséquer ce qu’il se passe notamment dans le marché du coaching et du développement personnel !
Les coachs auto-proclamés
- Devenir “coach”, “expert en mindset”, “formateur en leadership” ne demande en France aucun titre légal. N’importe-qui peut se proclamer coach spécialiste, avec ou sans formation solide. Ce n’est pas le cas pour les professions régulées (avocats, psychothérapeutes, agents immobiliers etc.) : des diplômes validés par l’état ou cartes professionnelles sont exigés,
- L’offre de coaching et de développement personnel est dans une zone grise. Problème : elle est parfois assez proche de la psychothérapie dans certains usages, mais souvent sans formation sérieuse ni garde-fous auxquels sont astreints les thérapeutes,
- le marché est brouillé par une masse de “certifications” auto-délivrées : les formations “devenir coach” sont aussi un marché !
- le “client” ne dispose pas toujours de connaissances ou moyens pour évaluer la compétence du coach avant qu’il intervienne.
Des pratiques commerciales douteuses…
- Face à un particulier, certains coachs utilisent des techniques proches de la manipulation :
1. désirs inconscients :“vous êtes unique, une perle, un talent caché, je vais vous aider à vous révéler”
2. réponse à un manque :“avec mes outils de développement personnel, vous allez combler ce qui vous manque”
3. possession – objet créant la maîtrise : “vous allez reprendre possession de votre vie, de votre carrière…vous allez gagner bien plus…”
Confer les dynamiques pulsionnelles et psychiques étudiées par Freud et qui ont inspiré son neveu Bernays, “génie” de la propagande et du marketing… - En cas d’échec, certains coachs rétorquent que c’est l’échec du client (“tu n’as pas assez appliqué”) plutôt que l’échec de leur méthode.
Si vous faites appel à des coachs, vérifiez bien qu’ils disposent, soit d’une certification inscrite au RNCP, soit qu’ils sont cautionnés par des organisations reconnues (ICF – fédération internationale de coaching ou EMCC – conseil international du coaching, du mentorat, de la supervision, etc.)
12 bonnes pratiques pour débusquer les formations bullshit
Comme particulier ou acheteur de formation, ne vous fiez donc pas au seul certificat Qualiopi !
Voici 12 conseils simples pour faire le tri !
- Vérifiez bien l’éventuelle certification proposée à l’issue de la formation : est-elle enregistrée chez France Compétences ? Reconnue internationalement ou nationalement ? Délivrée par un organisme privé de renom, existant depuis de nombreuses années ?
- Contrôlez la compétence et l’expérience du formateur : A-t-il suivi une formation de formateur ? Dispose-t-il d’une certification de formateur reconnue ? Publie-t-il du “contenu” de qualité ?
- Lisez attentivement le programme de la formation (est-il suffisamment détaillé, correspond-il à un véritable déroulé avec les durées et activités, détaille-t-il les méthodes pédagogiques ?)
- Demandez à une IA comme Perplexity de vous dire ce qu’elle pense du programme, de comparer, de rechercher des références ou des avis clients “vérifiés”, et si la formation amène des compétences utiles ou renforçant l’employabilité, etc.
- Demander à l’OF un entretien de positionnement amont (salarié) avec le formateur ou une présentation détaillée de l’offre (acheteur), préparez vos questions,
- Méfiez-vous des avis trop bons ou des messages trop bien écrits, souvent générés par des bots IA !
- Promesses du type “séduction” + “réparation” + “possession” : fuyez !
- Analysez la pédagogie proposée : vous convient-elle (ou à votre public) ?
- Résistez à la pression commerciale : l’effet de rareté – la fausse urgence – la baisse de prix soudaine – la sur-vente, etc.. Méfiez-vous des discours truffés d’anglicismes abscons (Molière en son temps moquait les médecins charlatans usant de formules latines incompréhensibles !)
- Vérifiez les résultats réels, les taux d’insertion, etc., demandez des références clients variées,
- Analysez les conditions de désistement, de remboursement si non qualité ou mauvaise satisfaction, scrutez bien les contrats également,
- Analysez aussi la cohérence du prix : pas cher = risque de formation bas de gamme – cher : ok mais ça se justifie par quelle plus-value ?


