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Faut-il recréer une obligation de dépenses en formation ?

En 1971 la Loi dite « Delors » organisait la formation professionnelle continue (FPC). Elle a donné lieu à une “obligation” de dépenses en formation qui a permis d’accompagner les grandes évolutions du travail pendant plusieurs décennies. Elle a aussi permis à des millions d’actifs de s’insérer et de se professionnaliser.

Faut-il une nouvelle « obligation » de dépense ?

Les lois réformant la FPC au tournant des années 2000 ont mis fin aux obligations de dépenses en formation. Or les dépenses des uns représentant les budgets des autres : le modèle économique de certains acteurs de la formation a été bousculé, en particulier par la réforme de 2018.

Pour cette raison (et bien d’autres) dès 2020, les partenaires sociaux et les services de l’état se sont mis à réfléchir a minima à une « amélioration » de la loi de 2018. Elle comporte certes de nombreuses avancées mais aussi des limites, notamment un manque de financement au regard des dépenses engagées (les déficits cumulés chez France Compétences dépassent par exemple amplement les 10 milliards d’euros).

Le budget de l’état est mis à contribution. Certains réclament des économies urgentes (comme des “coupes” ou un “resserrement” du CPF ?). D’autres, une nouvelle obligation de « cotisation » formation pour les entreprises !

L’obligation a eu des effets positifs…

En obligeant les entreprises à dépenser (en formation) un pourcentage de leur masse salariale, la loi de 1971 a permis le développement des centres de formations. Elle a également conforté la fonction de « formateur professionnel ».

La loi Delors a accompagné les transformations profondes du monde du travail des années 70 :

  • salarisation (et diminution du nombre d’indépendants),
  • tertiarisation,
  • baisse du poids de l’industrie et de l’agriculture dans l’emploi,
  • mécanisation de travaux très pénibles (il en reste…),
  • diminution du temps de travail,
  • organisations plus horizontales,
  • augmentation du niveau requis de qualification,
  • etc.

Les “stages de formation” ont permis à des millions d’actifs peu ou pas diplômés, d’accéder à la connaissance, à l’emploi, à la promotion sociale. Compensant également en partie les effets (visibles dès les années 80) d’une certaine « précarisation » de l’emploi (CDD, intérim, etc.) et les premières pannes de « l’ascenseur social » français.

Au tournant des années 2000, malgré les dispositifs de mutualisation, parmi les stagiaires de la formation on trouvait toujours une surreprésentation des insiders (cadres masculins, salariés des grands groupes, personnels déjà qualifiés, trentenaires et quadras diplômés, etc.).

Recréer une obligation augmenterait les capacités de financement.

De nouveaux prélèvements sur les entreprises permettraient dès 2023 de dégager des ressources supplémentaires pour la FPC.

Le hic est que dans le même temps, nos entreprises pourraient être confrontées à une baisse de leur rentabilité, du fait de la hausse des coûts de production, (voire à un risque de récession, d’après les autorités monétaires).

Quelles limites éviter ?

Une nouvelle obligation de financement de la formation professionnelle par les entreprises permettrait de remettre en place un système de péréquation et de mutualisation des fonds de la formation, au bénéfice des personnes les plus éloignées de la formation : personnels peu qualifiés, petites entreprises, secteurs à forte intensité de main d’oeuvre. Seulement le “diable se cache dans les détails” et il faudrait se préserver de 3 pièges.

  1. Les outsiders toujours exclus de la FPC ?
    La disparition d’emplois automatisables impacte négativement les actifs les moins adaptés au “nouveau monde du travail”. L’essor de la robotique, l’IA, l’uberisation du travail, etc. vont accroitre le phénomène d’exclusion !
    Comme l’explique le sociologue François Dubet, spécialiste des mutations du travail :  “Les plus qualifiés s’éloignent des moins qualifiés et ceci n’est pas sans conséquences politiques quand le clivage majeur oppose les gagnants aux perdants de cette mutation.”
    Pour poser la question crûment : les aides à la formation profiteraient-t-elles pleinement aux outsiders ? La “manne” leur parviendrait-elle réellement, afin qu’ils aient la “liberté de choisir leur avenir professionnel” ou serait-elle à nouveau captée par les insiders ?
  2. Subventionner la formation créerait des distorsions ?
    Certains professionnels affirment que subventionner des heures de formation, revient in fine à subventionner le coût du travail. Cela ne risque-t-il pas de créer des distorsions de concurrence entre les secteurs, les entreprises (et les personnes CSP++) en profitant, et les autres n’en bénéficiant pas ?
  3. Un risque d’abus ? La généralisation du CPF en euros à l’ensemble des actifs a généré la croissance de nouveaux acteurs et domaines de formation et aussi… certains abus ! Justifiant par exemple une riposte législative récente contre le “démarchage” d’escrocs de la formation !
    Quid des autres biais comme les abus de position dominante, les contournements possibles, etc. que l’on doit aussi anticiper, si l’on recrée une obligation de dépenses et la mutualisation ?

Le monde va changer considérablement…

Les bouleversements de l’économie et du monde du travail  n’ont plus rien à voir avec ceux des décennies 1970 et 1980.
Démographie, sociologie, niveaux moyens de sortie d’étude, etc. ne sont plus du tout les mêmes non plus et vont encore fortement évoluer.
Les anciennes “recettes” ayant permis grosso-modo aux générations nombreuses du baby-boom de se former et s’insérer dans le travail, datent d’un temps révolu. Il va nous falloir inventer d’autres “recettes” (financières) et d’autres manières de penser la FPC. Le vieillissement accéléré de la population active est par exemple à prendre en compte dans la réflexion !

Rejoignez la trentaine de participants du CLUB C-Campus L&D qui réfléchissent ensemble à l’avenir de la formation professionnelle en entreprises. Découvrez l’offre ici ou en nous contactant : formation@c-campus.fr.

Un système incitatif ?

Examinons les pistes incitant à investir plutôt qu’à “dépenser” en formation.

  • Continuer l’encouragement à l’investissement de modernisation de nos centres de formation. Inciter (encore plus) nos OF et CFA, à se renouveler et à se repositionner sur les domaines et les « compétences de demain ». Rien que chez les “acteurs de la compétence” ce sont 1300 entreprises de formation concernées, pour un poids économique de 3 milliards d’euros !
  • Comme d’autres, chez C-Campus nous rêverions que toutes les entreprises deviennent des “organisations apprenantes”. (Cf. notre article fruit des échanges de notre club L&D, nous avons répertorié ici 8 manières différentes d’y parvenir.)
    Soyons clairs : cela ne concerne pour l’instant que quelques grands groupes. Le développement des organisations apprenantes soulève 3 questions : Primo, celle des «acteurs internes de la formation » : faut il professionnaliser uniquement des formateurs présentiels ou  s’intéresser à tous les “nouveaux formateurs” ? lire notre article ici
    Secundo, celle du choix des investissements : dans quoi investir ? Dans des “métaverses” ou dans la réalité augmentée ? Dans le développement de l’apprenance des salariés ou sur les nouveaux arrivants ? Tertio, celle de l’organisation apprenante dans les PME et TPE : comment faire en sorte que leurs salariés accèdent toujours à une formation professionnelle de qualité ? L’AFEST est une piste qui peut très bien se combiner à d’autres démarches, comme celles impliquant dans la formation les différents niveaux de management Lire ici
  • Enfin certains verraient d’un bon œil un « crédit d’impôt » (ou des « chèques formation ») réservées aux personnes acceptant d’investir (de leur poche) pour se former, en vue d’évoluer. Pourquoi pas, mais il s’agirait d’une nouvelle niche fiscale…

Favoriser la “compétence durable” ?

Quel que soit l’angle choisi, systèmes incitatifs, nouvelles obligations, coups de pouce fiscaux, le défi de la compétence plus durable va s’imposer aux entreprises et aux actifs. La question du financement de la formation ne règlera pas tout !

Cette formule “compétence plus durable” ressemble à un oxymore mais pas tant que cela : l’obsolescence rapide des compétences peut-t-elle par exemple perdurer, dans un monde en décroissance & décarbonation ?

Les problèmes environnementaux,  la raréfaction des ressources physiques vont nous contraindre à adopter une économie plus frugale et à revenir au “temps long”. Cela va forcément impacter également la FPC !

La “compétence plus durable” sera-t-elle celle au service…

  • de la fabrication d’objets et artefacts de plus en plus robustes, (ou réparables ou totalement recyclables à bas coût) ?
    En ce cas il s’agirait de prévoir des plans de développement de compétences, eux-mêmes inscrits dans la durée (3 à 5 ans).
    Il faudrait aussi convaincre les salariés que se former et apprendre, cela prend du temps, par accumulation d’expériences apprenantes et remises en question dans la durée  ?
  • du renforcement des circuits courts, conséquence de la démondialisation partielle (ou de la relocalisation stratégique) ?
    En ce cas il s’agirait par exemple de repenser la fameuse supply-chain ou de diminuer fortement l’usage de certains intrants dans les pratiques agricoles ! Combien de nouveaux emplois à créer et donc de nouvelles compétences et formations à prévoir pour ces ces néo-logisticiens ou néo-agriculteurs ?
  • de la création de services et emplois à haute valeur environnementale et sociale (et non de bullshit jobs générant au fond de fortes “externalités négatives”, comme de la pollution subie par d’autres) ?
    En ce cas : comment rendre ces services et emplois visibles, attrayants, reconnus (et les emplois liés, correctement rémunérés) ?
    Là aussi du côté de la formation, il y aura d’énormes marges de professionnalisation à opérer pour les acteurs de la formation (les formateurs ou tuteurs terrain par ex.) car les nouveaux emplois ne s’apprendront pas entièrement dans les “écoles” et probablement davantage directement en milieu professionnel !

La “nouvelle” FPC va également être confrontée à d’autres défis, tels que :

  • Reconversion de centaines de milliers de salariés, dont les emplois liés à l’hyper – consommation (ou à la fin de l’abondance) vont disparaître,
  • Inclusivité, ne fut-ce que celle des migrants arrivant sur notre sol, des seniors dont les carrières vont a priori se prolonger ou encore des travailleurs en situation de handicap les plus exclus,
  • Les nouveaux modes et organisations du travail dans un monde low carbon et peut-être low tech ? Le télétravail et la “formation 100% digitale et à distance” seraient finalement assez énergivores (entre chauffage et éclairage individuels chez soi plutôt que collectif au bureau + consommation d’énergie croissante, du fait de l’augmentation des flux et poids de données ?)

La modalité AFEST présente 3 grands avantages :  1. elle facilite les reconversions, reskilling, upskilling, etc. 2. elle est accessible à tout le monde donc inclusive 3. elle consomme peu de ressources de formation. Si vous voulez devenir “référent AFEST certifié” pour toucher du doigt ces avantages : formation@c-campus.fr 

En guise de conclusion, à ce stade…

Dans le court terme, une amélioration de la réforme de 2018 est nécessaire. La question de créer de nouvelles obligations & mutualisations de dépenses ou des incitations à investir est prégnante, mais de toutes façons pas encore tranchée. Des nouvelles recettes pour la FPC sont nécessaires mais pas suffisantes. C’est probablement le paradigme de la formation qui doit changer !

Dans le moyen terme (= demain, si la transition énergétique s’imposait à nous plus vite que prévu ?) il s’agira de repenser la formation professionnelle, tout comme nous devrons repenser rapidement nos sociétés. Donc d’autres chantiers pourraient être lancés pour l’adaptation de notre système de FPC. Par exemple : 

Comment innover, diversifier et créer les conditions de l’apprentissage permanent  ?

Comment faire émerger un nouveau contrat social de la FPC dans un monde redevenu celui de la “rareté” ?

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