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Décret valorisation des heures CPF : un triple signal fort attendu

Les décrets en préparation de la loi « Avenir professionnel » vont déterminer l’ampleur, et peut-être même le sens, de la transformation annoncée. C’est notamment le cas du décret qui va fixer le montant des heures de CPF capitalisées par les salariés. L’intérêt du CPF au 1erjanvier dépendra de ce montant. Si l’heure est valorisée autour de 14 euros, comme l’a annoncé Muriel Pénicaud lors de sa conférence du 5 mars dernier, le pouvoir d’achat moyen des salariés devrait être inférieur à 2000 euros au 1erjanvier 2019. La décision ne serait pas encore prise. Il est peut-être encore temps d’éviter une grossière erreur !

Combien vaut une heure de formation ?

C’est la question fondamentale à se poser avant de fixer ce montant. Malheureusement, il n’existe pas de prix moyen de formation. Les statistiques nationales restent muettes sur le sujet. Comment comparer d’ailleurs le tarif d’une heure de formation en langues ou en bureautique avec une heure de formation sur simulateur d’Airbus à 380 ou d’intervenant sur site nucléaire ? Les niveaux d’équipement pédagogique, de durée, de personnalisation, de qualification du formateur ou encore d’investissement marketing peuvent varier dans des proportions très grandes.

Les sources officielles, et notamment le Jaune Budgétaire qui chaque année retraite les déclarations des entreprises, organismes de formation et financeurs publics, nous indiquent toutefois quelques montants :

  • Investissement total des entreprises de + de 10 salariés par heure stagiaire : 76,53 € (2074 euros investis / 27,10 heures par stagiaires en 2014). Ce montant comprend les frais de gestion et de rémunération.
  • Prise en charge moyenne par les OPCA du congé pour Bilan de compétences et accompagnement VAE : entre 68€ et 88€ / heure (uniquement coût pédagogique)
  • Prise en charge moyenne par les OPCA du CPF : 37,8€/H (certains OPCA intègrent une partie de la rémunération)
  • Prise en charge par les OPCA du CIF rémunéré : 35 €/h (dont une partie part de rémunération), non rémunéré : 14€/h
  • Prise en charge moyenne par les OPCA du plan : de 33 €/h pour les moins de 11 salariés à 27 €/h pour les 50 à 300 salariés.
  • Prise en charge par les OPCA de la période de professionnalisation : 19€/h
  • Prise en charge pour les contrats de professionnalisation : entre 13 et 15 €/h.

A la lecture de ces chiffres, on peut se dire qu’un montant raisonnable pourrait s’établir autour de 25 euros de l’heure, c’est-à-dire sensiblement moins que l’investissement total moyen des entreprises ou de la prise en charge OPCA du CPF aujourd’hui, mais beaucoup plus que le contrat de professionnalisation qui reste une formation longue, plus proche de l’éducation professionnelle que de la formation professionnelle.

Veut-on réellement promouvoir le CPF 2019 aux yeux des salariés ?

Fixer à travers le décret un montant de 14 euros de l’heure, comme cela semble se dire en coulisse, serait faire passer trois messages négatifs au salarié :

  • Sa formation personnelle en dehors de l’entreprise vaut beaucoup moins que la formation de son adaptation au sein de son entreprise (14,28 € vs 76,53 €, soit plus de 5 fois moins).
  • Le CPF de 2019 est bien moins intéressant que le CPF de 2018. Une moindre prise en charge viendrait s’ajouter au fait qu’il devra, davantage demain qu’hier, partir en formation CPF sur son temps personnel. Les salariés comprendront très vite que le CPF 2019 est un marché de dupe !
  • Le CPF, c’est avant tout le droit à se financer sa formation ! Car le reste à charge pour le salarié risque d’être très important si on descend en dessous d’une heure de formation à 25 euros.

Par conséquent, un montant faible, c’est à nouveau creuser les inégalités. Le reste à charge n’aura pas la même valeur pour une personne au SMIC que pour un salarié à plus de 4000 euros net par mois. Le CIF et le CPF de 2014 était de ce point de vue beaucoup plus juste.

Veut-on réellement mobiliser les branches et les entreprises ?

Avec une prise en charge autour de 14 €/h, c’est aussi tout le système d’abondement qui pourrait se gripper.

Le CPF 2019 est un pari. Le gouvernement a imaginé le dispositif comme le système de soin ou de retraite. Le CPF caisse des dépôts correspond au « régime général ». Les abondements des Branches au « régime complémentaire » et ceux des entreprises à la « retraite chapeau ». Mais tout ceci ne peut fonctionner que si le régime général est attractif.

Si le montant de prise en charge par la Caisse des Dépôts est sensiblement inférieur à 25 €/HT, les Branches et surtout les entreprises n’auront aucun intérêt à mobiliser leurs fonds et leurs équipes sur le dispositif.

Or, comme on a pu le constater aussi bien à travers le DIF 2004 que le CPF 2014, les dispositifs de formation à l’initiative des salariés ne fonctionnent que si les entreprises et les Branches se mobilisent pour leur mise en œuvre. Limiter le pouvoir d’achat CPF à moins de 2000 €, c’est faire une croix sur le décollage du CPF 2019.

Veut-on réellement une offre innovante et de qualité pour le CPF 2019 ?

Actuellement, les organismes de formation s’interrogent. Faut-il aller sur le marché du CPF qui ne l’oublions pas ne représentera pas plus de 1,3 à 1,5 Milliards d’euros (soit 10% du marché – Le marché de formation « conventionné » représentant environ 14 Milliards).

Proposer un montant de capitalisation des heures CPF autour de 14 euros, c’est adresser un message clair : la formation CPF sera une formation « Low cost ». Les meilleurs organismes risquent de s’en détourner. Quel intérêt à aller sur un marché « low cost », hyper réglementé, qui nécessitera d’être gros pour être vu ? L’appli CPF devrait fonctionner comme une appli booking.com avec un système de « ranking ».

Gouvernement, Branches, entreprises et surtout salariés risquent gros si l’offre ne répond pas à l’appel. Résultat des courses : la formation CPF pourrait être de la « solo formation en e-learning ».

Les grands opérateurs internationaux, bien armés dans ce domaine, tapent déjà à la porte. Il n’est qu’à voir les rachats d’éditeurs de contenu (Crossknowledge par Wiley Group ou OnCourse learning par Bertelsmann Education) ou les grandes manœuvres de Linkedin Learning ou Education First). Que représenteront demain les quelques millions d’euros levés par nos petites start-up françaises de la formation (Open Classrooms ou Unow pour ne citer que les plus en vue) au regard des milliards de capitalisation de ces sociétés ? Valoriser raisonnablement l’heure de formation, c’est aussi donner le temps à notre appareil de formation de s’adapter. C’est demain avoir une formation de qualité à la fois digitale et humaine (mentorée / accompagnée), permettant à chacun de se préparer aux métiers du futur.

Cet article a été publiée sous forme de tribune sur news tank rh management. Pour découvrir les services de cette agence d’information globale, n’hésitez pas à demander un test gracieux de notre part en cliquant sur le lien ici.

Marc Dennery

Marc Dennery

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