Le blog de C-Campus

Peut-on “doper” sa réflexivité avec l’intelligence artificielle et comment ?

Le 11 juin dernier nous intervenions chez notre partenaire Cadres en Mission  sur le thème de l’utilisation des intelligences artificielles génératives pour stimuler la réflexivité humaine. Le public était choisi : consultants et formateurs, managers de transition, etc. Bref des professionnels familiers de l’accompagnement, du management et du développement des compétences ! Nous avons donc pu réfléchir et travailler aux “usages concrets des IA en tant qu’outils réflexifs”, déjà dans les activités (formation, conseil, etc.) des participants eux-mêmes !

Loin de remplacer notre pensée critique, les IA pourraient en effet en devenir des outils catalyseurs. Cet article prolonge notre réflexion du 11 juin et partage nos convictions, appuyées sur la recherche et sur notre pratique de ce que peut être concrètement la “réflexivité” au travail et en formation.

Nos générations connaitront vraisemblablement tout un univers d’apprentissages hybrides, avec une sorte d’alliance cerveau humain – cerveau artificiel, où l’IA pourrait nous servir d’assistant réflexif ou de “miroir cognitif”, mais où elle ne remplacerait pas nos capacités réflexives, qui caractérisent notre humanité même.

La réflexivité, caractéristique de l’apprentissage humain

La réflexivité, c’est notre capacité à prendre du recul sur nos modèles mentaux, nos actions, nos émotions, nos décisions. Elle est notamment au cœur de 3 grands fondamentaux de la formation des adultes :  l’apprentissage profond, l’ancrage et le transfert pédagogique.

La réflexivité repose sur au moins 5 piliers, proprement humains

Dans un premier temps, avant d’aborder plus bas des aspects pratiques, nous allons redécouvrir que la réflexivité reste un processus mental spécifiquement humain. En réalité, les intelligences artificielles ne sont pas “réflexives” car elles ne possèdent pas vraiment ces 5 fondamentaux des êtres humains  :

  1. Notre plasticité cérébrale et métacognitive qui nous amène à être capable de nous auto-observer, de manière critique comme l’a montré le Pr. Stanislas Dehaene. L’apprentissage passe alors par l’attention (recherches du Pr. Lachaux), l’erreur, et la consolidation. Ces processus cognitifs sont modulés par notre “conscience de soi”. On peut aussi faire référence aux travaux d’Olivier Houdé sur la métacognition et la résistance cognitive (apprendre à résister à soi-même)
  2. Notre expérience subjective, qui renvoie aussi à “l”interaction expérientielle”, à l’intuition, aux émotions, au ressenti corporel, au vécu. Selon Donald Schön, on apprend autant “dans” que “sur” l’action. Et selon le chercheur Antonio Damasio, nos décisions sont quasiment toutes empreintes d’émotions (L’erreur de Descartes : nous ne sommes pas que des êtres de raison !)
  3. Notre ancrage socio-culturel, qui se rapporte quelque part à la dialectique : méthode de discussion, de raisonnement, de questionnement et d’interprétation. Notre capacité réflexive est ainsi structurée et influencée par le langage, les codes sociaux, nos cadres de références et les croyances que nous partageons. (L.Vygotski, J.Mezirow).
  4. La temporalité réflexive, qui repose aussi sur notre capacité de “pensée systémique”. Nous savons ainsi relier notre passé, le présent, un ou des futurs, pour créer une boucle de sens et de réflexivité. Confer l’apprentissage en double boucle de C. Argyris ou les travaux du Psychologue J. Bruner qui montrent que notre pensée est aussi le fruit de notre histoire, pas seulement de notre “biologie” et de la génétique de notre cerveau.
  5. Notre posture identitaire et éthique : le philosophe français P.Ricoeur évoque lui, le fait que nous pouvons, par la narration, interroger et comprendre notre expérience (c’est aussi quelque part le propos de P. Vermersch par l’entretien d’explication) et trouver un sens à notre propre vie. Il explique aussi que nous pouvons développer une “éthique”, reposant sur des “valeurs” et devenir plus responsable des implications pour autrui, de nos actions, opérant ainsi une “régulation transformative“. 

Pour imiter la réflexivité humaine, les concepteurs d’IA devraient relever un sacré défi : combiner plusieurs types d’IA en une seule, avec un coût de développement… probablement faramineux :

une IA cognitive / symbolique, capable de mieux justifier ses décisions,

+ une IA “forte” dotée “d’intelligence plus générale”,

+ une IA “conçue sur le modèle du cerveau humain” : une copie artificielle de notre néo-cortex, capable en principe d’une forme de raisonnement, de mémoire de travail, d’attention, de planification etc., comme l’être humain.

Et ce serait certainement encore insuffisant pour s’approcher de la “vraie” réflexivité humaine : la super IA n’aurait toujours aucune conscience, ni ressenti du monde physique !

Les IA génératives et mêmes “agentiques” ne sont pas capables de reproduire la richesse, la complétude et la profondeur de notre réflexivité. Restons donc des êtres réflexifs “pleins et entiers”. Voyons plutôt comment amplifier avec l’IA notre capacité réflexive et plus largement notre cognition humaine  !

L‘analyse réflexive ça s’apprend ! Encore mieux lorsqu’on est accompagné par un formateur, un tuteur, un accompagnateur ou un manager-développeur de compétences ! Si vous voulez devenir un “formateur réflexif” ou encore un “référent AFEST” mettant la réflexivité au coeur de ses formations “terrain”, contactez-nous, nous avons des formations et solutions à vous proposer : formation@c-campus.fr

5 types d’interactions avec l’IA pour booster notre réflexivité  ?

Une fois qu’on s’est dit que l’IA n’était pas vraiment réflexive, elle pourrait néanmoins nous servir à stimuler ou à assister notre réflexivité humaine. Nous avons repéré 5 types de “collaborations” réflexives possibles, entre des apprenants humains et des machines IA .

Type 1 : Systèmes apprenants “intelligents”

Ça existe déjà (parfois depuis un bon moment dans certains secteurs) et assez vite cela devrait se généraliser dans tous les domaines d’apprentissages, ceux mobilisant notamment des “compétences instrumentales” !

  • Pilotage semi-autonome : des IA modulent le niveau d’automatisation de l’engin, du véhicule ou de la machine en fonction de l’état cognitif de “l’apprenti pilote” ou du pilote tout court, créant en même temps une sorte d’alerte réflexive. Par ex. en cas de perte ou manque d’attention humaine. On ne peut pas parler de réflexivité accompagnée par IA mais plutôt de concentration stimulée ou assistée par IA
  • Formation davantage personnalisée : une IA peut ajuster le contenu d’une formation, selon l’analyse des performances aux tests de l’apprenant. En parallèle une IA peut stimuler l’auto-observation critique, par exemple en aidant l’apprenant à trouver ses erreurs ou à améliorer ses performances cognitives, par un questionnement ciblé.

Type 2 : “Réflexivité” collaborative

Des IA pourraient stimuler notre “système 2” de pensée, comme dirait le Psychologue et Prix Nobel d’Économie D. Kahneman : c’est à dire notre pensée lente, profonde et réflexive.

  • Aide à la projection réflexive : Les puissances de calcul des IA leur permettent de collecter et d’analyser nos données d’apprentissages. De notre côté, nous pourrions nous concentrer sur notre jugement contextuel et éthique, afin de prendre les meilleures décisions ou anticipations réflexives.
  • Réflexivité améliorée : à force d’usage régulier, les IA finissent par être familières de nous. Elles pourraient nous aider à visualiser des “failles constantes” dans notre propre raisonnement réflexif : par exemple que nous négligeons un peu trop les “enseignements de la pratique” dans nos analyses auto-réflexives…

Type 3 :  Stimulation de la réflexivité collective

La réflexivité concerne aussi un groupe en formation, un collectif de travail, un groupe de pairs, etc. Voyons en quoi l’IA pourrait aider…

  • Accompagnement réflexif de grands groupes d’apprenants : Chez C-Campus nous formons des formateurs et accompagnateurs AFEST, à animer la réflexivité d’apprenants :
    ante action avec notre méthode RIEC © et post action, avec notre méthode FAST ©.
    Mais les animateurs de réflexivité peuvent être débordés par un nombre trop important de participants. Un coup de main de l’IA dans le questionnement réflexif (via des bots crées avec un outil comme POE  ) pourrait être utile, en ce cas…
  • Détection de biais cognitifs : une IA pourrait signaler à l’animateur – formateur humain et à un groupe d’apprenants, des inconsistances, incohérences, etc. dans des travaux produits.
  • Accompagnement d’un groupe de pairs. L’IA pourrait aussi encourager un groupe de pairs dans une réflexion plus approfondie. L’IA jouerait la “mouche du coche” en signalant, par exemple, les récits de problématiques et analyses trop superficiels !

Type 4 : Équipe réflexive et collaborative mixte = humains + IA

Ici nous commençons à être audacieux et à nous rapprocher de ce qu’avaient imaginé le cinéma d’anticipation (2001 Odyssée de l’Espace ou encore Blade Runner )

  • Réflexivité synergique : Projets où les IA explorent systématiquement toutes les solutions tandis que les humains apportent créativité, intuition, sauts conceptuels, etc. On sort nettement ici de la visée formative : il s’agit surtout, grâce aux IA, de gagner un temps considérable dans la recherche et développement !
  • Réflexivité augmentée, notamment sur les impacts d’une décision :  l’IA proposerait aux humains de ralentir intentionnellement les processus décisionnels, pour encourager la réflexion critique. Par exemple l’anticipation des impacts dans les dispositifs “accompagnements aux changements”.  Faire réfléchir les salariés, par exemple aux impacts concrets sur l’activité, de l’arrivée d’un nouveau progiciel.

Dans une PME dont les salariés sont confrontés à un changement important, on pourrait proposer au personnel d’utiliser l’IA comme une sorte de “médiateur neutre” pour réfléchir à comment s’y adapter, au travail.

Type 5 : Boucles d’apprentissage mutuel

Ici, on s’avance beaucoup, probablement. Cette quasi-fusion réflexive homme-machine fait peur car à l’instar du Metaverse (qui va bien finir par revenir en étant bien plus au point…), elle pourrait aussi générer des problèmes de dépendance à l’IA ou d’isolement social !

  • Co-évolution adaptative : Environnements d’apprentissage où l’IA et l’humain s’adapteraient l’un à l’autre progressivement, créant une dynamique d’apprentissage réciproque ? C’est déjà un peu le cas : les IA s’adaptent à nous et apprennent de nous ! Mais devons-nous nous adapter à elles et apprendre uniquement d’elles ? Certainement pas !
  • Miroir cognitif : l’IA servirait de reflet à nos propres processus réflexifs, rendant visible notre fonctionnement cognitif et méta-cognitif habituel et nous aidant à mieux cerner nos propres “modèles mentaux”. Pourrions-nous alors tomber dans une sorte de “piège narcissique” où l’IA et nous-mêmes ne verraient plus que des motifs à rester dans une relation duale exclusive, omettant tout un tas d’angles morts dans la réflexivité ?

Alors, risques ou opportunités ?

L’IA bien utilisée comme outil réflexif, peut nous offrir 5 opportunités :

  1. Questionner nos biais cognitifs (d’ores et déjà les IA cernent dans nos propos et tournures de phrases, certains biais) 
  2. Approfondir nos raisonnements sur nos pratiques, pour aller vers les “enseignements” et faciliter ainsi le transfert pédagogique, 
  3. Accompagner et relancer la réflexivité collective, facteur essentiel de cohésion et de dynamique d’un groupe de pairs ou en formation, 
  4. Favoriser des boucles d’apprentissage plus riches, en conservant par exemple la transcription des séances réflexives précédentes et en les re-questionnant ! 
  5. Gérer plus sereinement la problématique de l’obsolescence de plus en plus rapide de nos savoirs, en nous donnant accès à de nouveaux savoirs personnalisés.

L’usage excessif de l’IA en appui à la réflexivité présenterait en revanche 4 risques majeurs :  

  1. Une atrophie de la pensée réflexive,
  2. Une perte d’esprit critique par rapport aux biais et limites des IA,
  3. Un isolement social, voire une solitude,
  4. Un hyper-conformisme désincarné et une “fadeur” dans la réflexivité !

Finissons sur un point déjà développé dans un précédent article : avec ou sans IA Il devient urgent de former tous les actifs à la réflexivité !

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