Depuis presque vingt ans, C-Campus a formé des milliers de tuteurs dans les entreprises. Et, régulièrement, revient la même interrogation : « Comment accompagner un apprenant en situation de handicap ? » Les tuteurs expriment souvent leurs difficultés, leur crainte d’être maladroits ou, au contraire, de tomber dans une forme “d’assistanat”. Pour éclairer ce sujet, nous avons rencontré Bénédicte SAUER, fondatrice de l’association OSONS l’égalité, qui œuvre depuis 2008 à la réussite des jeunes en situation de handicap dans leur parcours de formation et d’intégration en entreprise.
OSONS l’égalité anime le Club OSONS qui réunit des jeunes en situation de handicap, des établissements de formation et des entreprises.
Sandrine NOGUES : Qu’est-ce qui vous a conduit à créer OSONS l’égalité et le Club OSONS ?
Bénédicte SAUER : C’est une histoire de rencontres notamment avec trois jeunes qui circulent en fauteuil roulant. Ils ne trouvaient pas de travail et pensaient que c’était à cause de « leurs handicaps ». Mais en discutant avec eux, ils ont exprimé qu’ils n’étaient pas très motivés par la comptabilité et avaient été orientés vers la comptabilité… parce qu’ils étaient en situation de handicap moteur ! Je me suis posée deux questions : « Comment favoriser une meilleure adéquation entre le choix des projets des jeunes et les besoins des entreprises ? Comment un jeune va acquérir un niveau de compétences en savoir-faire et savoir être utiles pour obtenir un diplôme et être choisi en entreprise ? »
Après la loi de 2005 et celle de 2018 qui ouvrent des possibilités de parcours vers l’emploi, l’enjeu est de ne plus « orienter» des jeunes vers des voies par défaut. L’objectif est de créer l’espace pour que chacun d’entre eux choisisse un projet basé sur ses centres d’intérêt et ses points forts, un projet ambitieux et réaliste, un projet structurant et structuré pour acquérir des compétences »
« Un jeune qui choisit mal s’expose à des échecs et à des difficultés pour rebondir, surtout quand il est en situation de handicap. »
OSONS accompagne aujourd’hui des jeunes de la seconde au Bac+5 – écoles d’ingénieur, pour les aider à s’investir dans un projet construit et motivant. Stages, portes ouvertes, rencontres, apprentissage : tout est mis en œuvre pour qu’ils se projettent positivement et deviennent acteurs de leurs choix et de leurs réussites.
L’état d’esprit du Club les incite à se poser les bonnes questions, à être curieux et agile.
Q : Votre accompagnement est-il spécifique aux jeunes en situation de handicap ?
B.S. : Pas vraiment. Nos échanges sont basés sur la réussite de leur projet, sur les objectifs qu’ils ont décidés. Chacun d’entre eux a besoin d’identifier les attendus côté formation et côté entreprise, de comprendre les différences entre la posture scolaire et la posture professionnelle, de réfléchir à ses bonnes conditions de réussite. Nous accompagnons des apprentis en Bac pro et en BTS qui n’ont pas appris à travailler avec efficacité côté cours. Le premier challenge, c’était de leur donner… l’envie de bosser et de s’organiser ! »
L’exigence doit rester la même. L’accompagnement consiste à leur proposer des méthodes, des outils, des solutions pas à baisser le niveau de compétences à acquérir.
Q : Comment éviter que l’accompagnement ne vire à l’assistanat ?
B.S. : C’est la différence entre accompagner et assister. Par exemple, un jeune qui pourrait utiliser un ordinateur pour compenser ses troubles Dys doit comprendre l’intérêt de l’outil pour son parcours. Sinon, le risque c’est qu’il l’utilise uniquement pour les jeux et les réseaux. De la même manière pour un tiers-temps : à quoi cela va-t-il lui être utile pour obtenir de bons résultats s’il n’a pas envie de travailler ses cours ?
Nous n’utilisons pas le mot adaptation. En lien avec les écoles et les CFA et les entreprises, nous échangeons avec les jeunes sur les contenus de formation, sur leurs missions et objectifs en entreprise, sur leurs organisations, outils et méthodes. Ça change tout : les jeunes apprécient être considérés et responsabilisés sur leurs choix. La grande majorité apprécie aussi être challengée.
Q : Comment travaillez-vous avec les entreprises et les tuteurs ?
B.S. : Chaque rencontre se prépare. Nous les soutenons dans la préparation des entretiens et tout au long de leurs parcours. Nous abordons aussi la question de leurs particularités : souhaitent-t-ils parler de leur RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) ? Que dire ou ne pas dire à un RH, tuteur et manager ? Le secret médical, c’est quoi ? Quels sont leurs besoins d’aménagements pour être dans de bonnes conditions pour réussir sa mission ?
Certaines difficultés n’ont rien à voir avec la situation de handicap. Dans un CFA, un jeune était jugé peu concentré. La réalité, c’est qu’il avait fait le choix de faire trois heures par jour de trajets en voiture. Comment rester concentrer toute la journée dans ces conditions ? La solution : trouver un logement 15 jours par mois, plutôt que de le stigmatiser sur sa situation de handicap.
Un frein n’est pas toujours lié à la situation de handicap. Ça peut être une mauvaise organisation sur 7 jours, le logement, la crise d’ado, des problèmes familiaux ou financiers ou tout simplement… les réseaux et les jeux vidéo jusqu’à 2h du matin !
C-Campus forme chaque année plus de 1000 tuteurs, sujet de cet article, mais nous formons également plus de 1000 formateurs via des formations intra et/ou inter de façon individualisée. N’hésitez pas à consulter nos programmes notamment notre petit dernier : formateur augmenté par l’IA.
Q : Quel rôle le tuteur joue-t-il dans ce parcours ?
B.S. : L’idée est que le tuteur pose un cadre et des objectifs par étape dès le début de la mission en apprentissage, en lien avec le tuteur côté formation. L’équilibre à trouver, c’est être exigeant et bienveillant à la fois. Beaucoup craignent d’en demander trop. L’erreur, c’est d’en demander moins sur l’acquisition de compétences. Le jeune se sent alors déresponsabilisé.
Un tuteur à l’écoute sait poser les bonnes questions, encourage la curiosité et valorise les points forts. Quand un jeune atteint les objectifs et obtient de bons résultats côté formation, il est important que le tuteur valorise ses réussites. Il est aussi essentiel de débriefer les erreurs et les objectifs non atteints et d’identifier des solutions. Avec l’attention bienveillante de leurs tuteurs, les jeunes apprennent à gérer positivement les freins et les difficultés qui font partie de l’apprentissage.
Pour finir, chasser ses préjugés : un jeune qui a un syndrome Asperger n’est pas forcément plus intelligent et plus motivé en informatique par exemple. Chaque jeune est différent, même en partageant une situation de handicap comparable. De même sur la façon d’apprendre, certains étudient seuls alors que d’autres préfèrent comprendre et mémoriser en échangeant. C’est une histoire de personnalités.
Q : Quels conseils concrets donneriez-vous à un tuteur ?
B.S. : on lui donne généralement trois types de conseil :
- Clarifiez les attendus dès le départ. Expliquez les missions, les niveaux de compétences souhaités, étape par étape.
- Responsabilisez. N’ayez pas peur d’échanger sur les points forts pour valoriser les réussites et les points faibles pour identifier des solutions
- Créez un espace de confiance avec des points réguliers. Parlez d’adulte à adulte, jamais d’adulte à « assisté ».
Le rôle du tuteur, ce n’est pas assister, c’est accompagner une montée en compétences ambitieuse.
Q : Avez-vous un exemple qui illustre le rôle du tuteur ?
B.S. : Je pense à Thomas, Pierre, Margaux, Alexis, et d’autres en CDI chez Orange aujourd’hui, après un parcours en apprentissage. Leurs tuteurs et managers ont joué un rôle décisif. Ils les ont accompagnés comme n’importe quel jeune, en étant exigeants et en les responsabilisants avec bienveillance.
Autre histoire marquante : celle de Baptiste qui a toujours su se challenger avec le soutien de ses tuteurs. Sa rigueur et ses compétences lui ont permis d’être choisi en CDI dans une entreprise exigeante : Naval Group.
Je pense aussi à une belle rencontre entre un manager-tuteur et un apprenti qui a provoqué un déclic essentiel pour la réussite de son parcours. Une relation gagnant gagnant en lien avec le professeur tuteur.
Ces histoires rappellent que le tutorat c’est d’abord une histoire de rencontres et de motivations
Q : Selon vous, est-il nécessaire de former les tuteurs ?
B.S. : « Oui, Il est important d’inciter les tuteurs à réfléchir à leur rôle, à leur relation à construire avec leur apprenant en lien avec l’école ou le CFA. La majorité des tuteurs est volontaire, c’est important pour favoriser une relation positive. Quand il est désigné par défaut, c’est souvent compliqué. Les tuteurs ont besoin de clés de compréhension, des précisions sur le contenu de formation et les examens, des outils et travailler la posture : un équilibre entre exigence, bienveillance et confiance.
Si vous ne connaissez pas le Club OSONS, et que vous êtes intéressé par son approche, n’hésitez pas à les découvrir – cliquer ici – et à les contacter.
En conclusion
Accompagner un apprenti, qu’il soit ou non en situation de handicap, demande avant tout de la clarté dans les attentes, de l’exigence bien dosée et une relation de confiance. Le rôle du tuteur n’est pas de protéger mais de guider, d’aider à grandir et d’identifier des clés de réussite.