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Transformation des pratiques de formation et nouveaux défis

 

Le monde de la formation est en pleine transformation. On assiste actuellement à trois bouleversements majeurs qui sont en quelque sorte trois lames de fond qui s’entrechoquent et se renforcent mutuellement. Ces bouleversements portent sur les usages, les techno-pédagogies et la réglementation. Ils ne sont pas sans conséquences sur les partis prenantes de la formation qui doivent relever de nouveaux défis.

les 3 grands bouleversements de la formation professionnelle en cours

Commençons par les usages qui est probablement le facteur le plus déterminant dans les transformations actuelles de la formation. L’usage de la formation ne ressemblent en rien aujourd’hui, et encore moins demain, à ce que l’on a connu dans les années 1970 / 1980. Les besoins en formation ont changé. Jusqu’à l’avènement des moteurs de recherche et des plateformes, blogs, réseaux sociaux de type Yammer, Linkedin, You tube… acquérir des connaissances et se perfectionner nécessitaient de faire une pause. Il s’agissait d’aller chercher le savoir là où il était, c’est-à-dire participer à un stage et rencontrer un formateur-sachant qui nous distillait au compte-goutte les connaissances rares dont on avait besoin. Puis on revenait dans son contexte de travail et on essayait d’appliquer, souvent seul. En moyenne en France, un salarié partait une fois tous les 3 ans en formation[1].

Aujourd’hui, et encore plus dans les prochaines années, ce modèle de la formation en stock va tendre à disparaître pour laisser la place à un modèle en flux. La connaissance est disponible à portée de clic de notre smartphone. Une nouvelle loi est promulguée, des experts mettent à disposition gratuitement leurs analyses. Une nouvelle technologie est introduite, des sociétés l’utilisant ou la commercialisant la présente en détail via des vidéos ou des MOOCs. Plus besoin de s’inscrire à une formation. Veille, curation, partage, expérimentation… sont les nouveaux usages de l’apprentissage. La formation pensée comme un acte planifiée (« le plan de formation ») et administrée (« prise en charge OPCA », « fiches de présence »…) avec son unité de temps (« le stage ») et de lieu (le centre de formation) est totalement dépassé. Et ce n’est pas seulement une affaire de génération. Quand on prend l’habitude de ne plus prévoir et anticiper dans sa vie quotidienne (ce qui est la transformation sociale la plus profonde des plateformes, de Facebook à Uber en passant par Blablacar, Deliveroo ou AirBnB) imagine-t-on encore attendre plusieurs mois pour se rendre en formation et acquérir le savoir tant attendu ?

Deuxième bouleversement majeur, la formation comme tout secteur économique se digitalise. La pédagogie devient techno-pédagogie. Elle est portée par des applis, des plateformes, des équipements (tablettes, casques de réalité virtuelle…). Et toutes ces technologies ne sont pas neutres. Elles transforment en profondeur les relations pédagogiques qui deviennent plus horizontales, plus ouvertes, plus ludiques, plus collaboratives. Le rapport quasi hiérarchique entre sachant et apprenant tend à s’estomper. Le « formé » (avec sa référence indirecte au « formatage ») et le « stagiaire » (avec l’ambiguïté du sens « stagiaire-débutant »)  ne correspondent plus du tout à la représentation que l’on peut avoir du sujet apprenant. Le terme de co-apprenaute est bien plus juste. Il traduit une relation quasi-égalitaire où chacun est tour à tour à tour apprenant et sachant. Où chacun sur la toile coopère avec autrui (« apprenaute » étant une contraction des mots « apprenant » et « internaute »).

Troisième bouleversement : la réglementation. Depuis 1971, jamais une réforme de la formation n’avait été aussi profonde que celle de 2014. Et ce n’est pas finie, celle qui arrive va encore accélérer le mouvement. Les changements de réglementation sont comme le catalyseur des deux bouleversements précédents. Ils renforcent les dynamiques d’évolution d’usage et de digitalisation.

La notion d’action de formation est en train de voler en éclat. Jusqu’à présent le modèle quasi unique de la formation était le stage. Aujourd’hui, tous types d’actions peuvent être financés à condition de respecter un certain formalisme. Le e-learning aussi bien que les MOOC, la FEST (formation en situation de travail)… deviennent de la formation au même titre que le stage ou formation en alternance.

La loi El Khomri nous prépare des évolutions radicales avec l’introduction du forfait parcours. Demain, l’heure ne sera plus l’unité d’œuvre de la formation. Elle sera remplacée par le parcours qui pourra comprendre à la fois des temps de positionnement, d’accompagnement, de formation et de validation. Les financements seront forfaitaires pour un parcours donné quelle que soit sa durée. D’une obligation de moyen (réalisation d’heures de formation), on passera à une obligation de résultat (paiement à la réussite de la certification voire au reclassement pour les DE).

Les nouveaux défis des acteurs de la formation

Pour le premier de ces acteurs, l’apprenant lui-même, les évolutions en cours vont avoir des effets très importants. Hier, le service formation le « convoquait » au stage. Demain, il devra prendre en charge son développement des compétences. A lui de rechercher les ressources dont il a besoin, de s’organiser des temps d’analyse réflexive sur sa pratique ou encore de solliciter un expert en cas de besoin. Bref, apprendre devient un métier. Et, à n’en pas douter, une « fracture pédagogique » se cache derrière la « fracture numérique ».

Cette fracture pédagogique pourrait être réduite par le travail du formateur, s’il est capable de ré-inventer son métier. Former, ce n’est plus transmettre un savoir, c’est accompagner vers le savoir (c’est d’ailleurs l’étymologie du mot « pédagogue[2] ».

Les nouvelles missions du formateur-animateur de demain devraient être au nombre de 7 :

  1. Aider au positionnement
  2. Définir les objectifs d’apprentissage avec l’apprenant
  3. Flécher vers les ressources pédagogiques pertinentes
  4. Conseiller dans le choix des activités apprenantes
  5. Aider à planifier l’apprentissage
  6. Entretenir la motivation
  7. Faire bénéficier de feed back

A la lecture de ces missions, on constate que le manager pourrait habilement épauler le formateur. N’est-ce pas le rôle premier d’un manager de favoriser la montée en compétence de ses collaborateurs par un accompagnement quotidien ?

Le manager présente l’avantage de pouvoir à la fois intervenir de façon individuelle et collective. En pensant ses équipiers non pas comme des individus pris séparément, mais comme des contributeurs au sein d’une équipe apprenante, il est capable d’utiliser les situations de travail apprenantes et les dynamiques collectives pour favoriser l’intégration et le perfectionnement au plus près du travail.

De « manager-prescripteur de formation », il devient « manager-organisateur des apprentissages quotidiens ». En amenant les équipiers à mieux collaborer entre eux, en organisant la veille et l’innovation créatrice de valeur, en multipliant les occasions d’analyser ses pratiques et les incidents rencontrés, en binomant les compétences via des approches de mentorat, tutorat, reverse mentoring… le manager a à sa disposition une multitude de moyens, bien plus riches que le stage de formation, pour développer les compétences.

Il se ré-appropriera ainsi une bonne partie des missions pédagogiques qu’il a abandonné au responsable de formation depuis la loi de 1971. Le responsable de formation devra alors lui-même ré-inventer son métier s’il ne veut pas disparaître.

Le responsable de formation planificateur et administrateur n’a plus lieu d’être. A l’instar du « RH – Business Partner », le responsable de formation devient un « RF – Business Partner ». Proche du manager opérationnel, il l’aide à organiser les apprentissages au plus près de ses équipes. Touche-à-tout de la formation, il sait tout à la fois aussi bien former lui-même qu’animer une communauté d’apprentissage, faire le marketing des produits et services de formation ou encore imaginer des parcours digitaux et multimodaux agiles. Homme de réseau, il est à l’interface des réseaux d’experts internes, des réseaux d’organismes de formation partenaires et des réseaux de financeurs de formation.

Ces mutations sont profondes. Elles risquent d’être brutales, mais il en sortira probablement un monde de la formation en entreprise plus efficace et plus dynamique.

[1] Les déclarations 24-83 renseignées par les entreprises sur les 10 à 20 dernières années montrent que chaque année entre 35 et 42% des salariés d’entreprises de 10 salariés et plus partent en formation.

[2] En grec ancien, le pédagogue est  « l’esclave chargé de conduire les enfants à l’école »

 

Marc Dennery

Marc Dennery

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